Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écharpe ; j’observais attentivement sa physionomie : elle était ouverte, résolue, annonçait un caractère irascible, mais ne révélait en rien des passions basses ou féroces.

— Citoyens ! — s’écrie cet homme, — j’ai eu le bras cassé à l’attaque des Tuileries ; mon frère, criblé de coups de baïonnettes par les Suisses, est mort entre mes bras des suites de ses blessures, oui… Savez-vous quel jour il est mort ?… Le jour même où la haute cour d’Orléans acquittait Montmorin, complice de Louis Capet ; le jour même où elle acquittait le colonel Bakman, l’un de ceux qui, le 10 août, ont donné l’ordre de faire feu sur le peuple, qui, sans défiance, fraternisait avec les Suisses ! !

— Les juges de la haute cour sont des traîtres !

— Des scélérats !

— Oui, ce sont des traîtres, des scélérats — reprend l’orateur. — Mais Orléans est loin, et l’Abbaye, remplie d’autres traîtres et d’autres scélérats, est sous notre main !… Marchons à l’Abbaye !

— Vous êtes un honnête homme, — me suis je écrié ; — vous n’irez pas égorger des prisonniers ! vous n’êtes pas un assassin !

— Non, je ne suis pas un assassin ! car l’un des premiers j’ai été délivrer les Suisses prisonniers que l’on voulait massacrer, — répond l’orateur. — Je voyais dans ces malheureux d’aveugles instruments du despotisme ! Ce que je voulais, ce que nous voulions tous, en nous montrant cléments après la victoire, c’était avoir justice des chefs, des grands conspirateurs.

— Oui ! oui !

— Cette justice, l’avons-nous eue ?

— Non ! non !

— Eh bien, le peuple est las d’être trompé, dupé… On ne lui fait pas justice, qu’il se la fasse lui-même !… — s’écrie l’orateur. — Montmorin, Bakman et d’autres scélérats sont à l’Abbaye, frappons-les, et partons pour la frontière. Marat, cette fois-ci, a raison ! Je le traitais de fou furieux quand il demandait cent mille têtes et