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sions que le roi trouvait mauvais que l’Assemblée nationale eût fait imprimer le livre rouge, — ajoute plus loin Camille Desmoulins. — Qu’est-ce à dire ? Le roi trouve mauvais ? … Nous trouvons bien plus mauvais que toi et tes pareils, citoyen Necker, ayez dilapidé, sous le règne de Louis l’économe, en dépenses clandestines, cent trente-cinq millions ! Tu ne sais donc pas que nous avons eu en France douze contrôleurs généraux des finances qui ont été pendus et exposés à Montfaucon ? Et ce qui me met tout à fait hors de mesure, c’est qu’au lieu de mourir de honte, ce cafard de Genevois se monseigneurise, ose donner des veniat à l’un, et à l’autre (au mépris des décrets) des pensions de cinq mille livres, sans parler des pilleries d’un Vauvilliers, de qui nous avons vu dernièrement l’orteil sortir à travers les souliers ! et qui, depuis qu’il est administrateur des finances, ne se promène plus qu’en carrosse ! »

Les révélations du livre rouge furent un nouveau coup de tocsin contre cette incorrigible royauté, que la majorité de l’Assemblée voulait conserver en la constitutionnalisant, en la subordonnant au tiers état, dont le roi n’était plus que le commis exécutif. Double et fatale erreur de la Constituante ! D’abord, Louis XVI n’a jamais consenti, ses successeurs n’auraient jamais consenti, à accepter loyalement ce rôle subalterne. Ces rois, de race conquérante, intronisés par la grâce de Dieu, habitués à exercer depuis tant de siècles un pouvoir surhumain, devaient regarder comme une outrageante atteinte à leur omnipotence et à leur droit divin, ces humiliantes concessions à eux imposées par la force des choses, et toujours tenter soit par la ruse, soit par la corruption, soit par la violence, de rétablir leur absolutisme. Les autres potentats européens, se sentant solidaires de Louis XVI, leur frère, ne considéraient-ils pas la Déclaration des droits de l’homme et les principes constitutifs de 1789 comme une menace, comme une attaque à leur puissance despotique, sachant combien la liberté est contagieuse pour les nations voisines de son foyer. Aussi, lors même que Louis XVI eût accepté loyalement la constitution, les souverains