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nuit du 9 au 10 août. — journées des 10 et 11 août 1792.


Appelé depuis peu à faire partie du bataillon de ma section (section des Piques, ci-devant de la place Vendôme), je me trouvais, dans la nuit du 9 au 10 août, de garde au poste de l’Assemblée nationale. Vers les onze heures et demie du soir, j’ai entendu battre le rappel, sonner le tocsin ; bientôt sont arrivés en hâte, soit isolément, soit par groupes, un assez grand nombre de représentants du peuple. Ils se rendaient au lieu de leurs séances, éveillés par le tocsin, par le tambour, et prévoyant quelque grand événement ; la plus grande tranquillité avait d’ailleurs régné jusqu’alors dans le quartier des Tuileries, car notre capitaine nous dit qu’il suffisait que la moitié de notre compagnie restât sous les armes, l’autre se tiendrait prête à les prendre. Je venais d’achever ma faction : curieux d’être témoin des faits qui allaient se reproduire durant cette orageuse séance de nuit, je me rendis dans l’une des tribunes publiques de la salle ; il était plus de minuit. Cependant elles ne tardèrent pas à se remplir d’une foule avide, inquiète, aussi éveillée par le tocsin et, en majorité, composée de femmes, de jeunes filles, de vieillards : la plupart des hommes jeunes et valides devaient prendre part à l’insurrection. Lorsque je suis entré dans la tribune publique, la salle des séances était encore presque dans les ténèbres ; les servants se hâtaient d’allumer les quinquets des lustres ; au fond de l’hémicycle s’élevait la tribune de l’orateur, dominée par le fauteuil du président ; derrière le fauteuil s’ouvrait une sorte de renfoncement, d’une quinzaine de pieds carrés, fermé par une grille ; cette loge était celle des logotachygraphes ; là se tenaient des journalistes experts dans le nouvel art d’écrire aussi promptement que la parole est prononcée ; ils reproduisaient ainsi textuellement les discours des orateurs. Je m’étais, durant mes loisirs de la veillée, livré à l’étude de ce procédé ; ainsi j’ai pu recueillir des fragments de morceaux oratoires prononcés, soit dans les clubs, soit dans cette séance, où j’assistais.