Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

posante multitude, après avoir planté l’arbre symbolique de la liberté dans le jardin des Tuileries, et voulant parler au roi face à face, afin de lui exposer une dernière fois les griefs et les demandes du peuple souverain, se porte au château, y entre avec calme, sans violences, et sauf le bris accidentel d’une cloison, il ne fut pas commis le moindre dégât. Cet envahissement s’accomplit avec un ordre parfait. Louis XVI, debout sur une chaise placée dans l’embrasure d’une fenêtre et entouré d’un groupe de gardes nationaux qui le séparaient de la foule, la vit défiler devant lui ; elle conservait une attitude si calme, qu’il ne témoigna pas la moindre crainte, affectant cet air de bonhomie placide dont on a été si longtemps dupe, et qui cache autant de ruse, de duplicité que de noire perfidie et d’opiniâtre trahison. Il dut entendre l’expression du vœu populaire souvent traduit par de rudes et significatives paroles.

« — Sire, — lui dit entre autres un jeune homme d’une voix grave et sévère, — je vous demande, au nom du peuple, le rappel du ministère patriote que vous avez destitué !… Je vous demande, au nom du peuple, la sanction des décrets de l’Assemblée relatifs aux prêtres réfractaires et à la formation du camp sous Paris.

» — Mon ami, — répond Louis XVI impassible, — je ferai ce que la constitution m’ordonne… je connais mes devoirs. »

Cette réponse évasive et sournoise ayant excité les murmures de la foule, le citoyen Legendre, marchand boucher, patriote plein d’énergie et de cœur, s’arrête, et regardant Louis XVI en face, il lui dit d’une voix haute et ferme :

« — Monsieur… — Et à cette appellation égalitaire, le roi n’ayant pu contenir un geste d’orgueil irrité, le citoyen Legendre reprend : « — Oui, monsieur… vous devez nous écouter… vous nous écouterez… Vous nous avez toujours trompés, vous nous trompez encore… Mais prenez garde… monsieur, prenez garde !… le peuple est las de se voir votre jouet… »

— Je connais mes devoirs, et je saurai les accomplir, — répond