Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion, que ces dix mille Judith forçant l’Hôtel de Ville, et s’armant de tout ce qu’elles rencontraient ; les unes attachaient des cordes aux trains des canons, d’autres arrêtaient des voitures, les chargeaient de munitions, apportant ainsi de la poudre et des boulets à la garde nationale de Versailles, que la cour laissait à dessein sans moyens de défense ; d’autres femmes conduisaient des canons, tenant virilement la mèche allumée : elles prenaient pour capitaine non un aristocrate à épaulettes, mais le brave Maillard, l’un des vainqueurs de la Bastille. D’un autre côté, les anciens gardes françaises, et presque toute la troupe soldée, accouraient en armes sur la place de Grève, et répondaient aux citoyens qui les encourageaient par des battements de mains : — Ce ne sont pas des applaudissements que nous vous demandons ; prenez les armes, et venez avec nous à Versailles venger l’insulte faite à la nation ! — Le même ardent patriotisme embrase les soixante districts de Paris ; le district Saint-Roch lui-même reconnaît que le Palais-Royal a raison : il se réconcilie avec le café de Foy. Le faubourg Saint-Antoine vient tendre la main au Palais-Royal, et le Palais-Royal embrasse le faubourg Saint-Antoine. La garde nationale force La Fayette à enfourcher le fameux cheval blanc ; apparemment le général avait, ce jour-là, donné pour mot d’ordre temporisateur Fabius… car on prétend que l’illustre cheval blanc des deux mondes a mis neuf heures à faire le trajet de Paris à Versailles. »

Les dix mille femmes, escortant leurs canons, accompagnées des quelques compagnies de gardes nationales et de citoyens armés de piques et de fusils, arrivent à Versailles, précédant de quelques heures l’armée parisienne de La Fayette. Maillard engage ses hardies compagnes à former une députation de douze d’entre elles : celles-ci se rendront à l’Assemblée nationale et lui demanderont de leur adjoindre plusieurs représentants du peuple ; puis, eux et elles iront devers le roi, afin de l’engager à veiller à la subsistance de Paris et à venger l’outrage fait aux couleurs nationales par les gardes du corps.