Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Tiens ! il me semble que l’on porte là le drapeau rouge roulé autour de ce bâton ! !

— En effet, — dis-je au vieillard, — mais je n’y comprends rien, l’on ne déploie le drapeau rouge qu’en présence d’un grand danger public, et lorsque la loi martiale a été proclamée par l’Hôtel de Ville.

— En ce cas, — dit l’un des spectateurs, — l’on aurait donc proclamé la loi martiale dans l’intérieur de Paris ?

— Il y a donc des troubles, une insurrection dans l’intérieur de la ville ?

— C’est impossible… on le saurait depuis ce matin ou depuis tantôt… par les personnes qui arrivaient au champ de Mars.

Pendant que l’on échangeait ces paroles autour de moi, avec une certaine anxiété, l’apparition du drapeau rouge presque invisible, le souvenir de l’expression de joie sinistre que je venais de remarquer sur la physionomie de plusieurs gardes nationaux avinés qui, défilant devant la foule, frappaient sur leurs fusils en criant : — « Nous allons envoyer des pilules aux jacobins ! » — ce concours de circonstances fut pour moi un trait de lumière. Je me souvins des avertissements réitérés de la presse patriote, au sujet des sinistres projets de l’Assemblée, soutenue par ses prétoriens… et je pressentis l’approche de quelque grand malheur… Les batteries d’artillerie commençaient de déboucher par la porte du Gros-Caillou, lorsque la garde bourgeoise, qui marchait en colonne, fit halte, et, se déployant en front de bandière, s’avança l’arme au bras et au pas accéléré sur la foule, qu’elle fit brutalement refluer, tandis qu’au même instant la cavalerie entrait au grand trot, par la porte de l’École militaire, et qu’une autre colonne d’infanterie débouchait par le pont de la Seine. Grâce à cette manœuvre simultanée, les quarante mille personnes environ qui restaient encore dans le champ de Mars encaissé de talus et de glacis, se virent cernées de toutes parts, les issues étant occupées par la troupe.