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cornette, tombant jusque sur ses yeux, les traits à demi cachés par un mouchoir à tabac noué en mentonnière, et vêtu d’un casaquin de camelot rayé, l’abbé Morlet n’était ni plus ni moins hideux que les furies ses compagnes, et je distinguais la voix aigre et perçante du petit Rodin criant parmi les bandits :

— À mort les aristocrates ! — Ils ont voulu faire sauter l’autel de la Patrie ! !

La bande d’égorgeurs et ses affreux trophées passèrent devant mes yeux comme une horrible vision. Ces misérables se dirigèrent en courant vers la rue Saint-Dominique, laissant après eux la foule dans la stupeur et la consternation. L’on voyait un sinistre présage dans ces meurtres inaugurant cette belle journée saluée avec tant de confiant espoir. La présence du jésuite et de son âme damnée Lehiron, au milieu de ces bandits, me faisait vaguement pressentir quelque ténébreuse scélératesse des ennemis de la révolution ; mais je ne comprenais pas davantage que les autres témoins de cette scène révoltante la signification de ces paroles hurlées par la bande de Lehiron : — Ils ont voulu faire sauter l’autel de la Patrie. — J’eus bientôt le mot de cette énigme. La foule contristée se remit en marche vers le lieu de réunion ; en passant devant un petit corps de garde, avoisinant l’une des portes du champ de Mars, je vis un nombreux rassemblement, et après m’être informé de sa cause auprès de ceux qui le formaient, j’appris ceci :

L’on avait laissé vers le milieu du champ de Mars une estrade en bois, figurant l’autel de la Patrie lors de la fête récente du 14 juillet, jour anniversaire de la prise de la Bastille. C’est sur cet autel que devait être déposée aujourd’hui et signée la pétition populaire adressée à l’Assemblée nationale ; or, ce matin, vers les sept heures, alors qu’il y avait encore très-peu de monde au champ de Mars, un jeune homme, montant par curiosité sur l’estrade, avait soudain entendu un léger bruit sous ses pieds, et bientôt remarqué la pointe d’une tarière se faisant jour à travers le plancher ; ce jeune homme,