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tient cependant, grâce à une réticence, ses affirmations, et réplique : « — Lorsque nous avons dit que le monopole du blé existait et qu’il était protégé, à Dieu ne plaise, sire, que nous eussions en vue Votre Majesté ! mais peut-être quelques-uns de ceux à qui vous distribuez votre autorité. »

Le Parlement avait pénétré l’abominable trame ourdie entre Louis XV et ses complices. Le Pacte de Famine était contracté… De quelle manière ? La voici. Une société, sous le nom de Malisset et compagnie, s’étant constituée en 1765, dans le but de monopoliser les grains, Bertin, ministre de la maison du roi, avait été l’un des principaux bailleurs de fonds ; un ancien secrétaire de l’ordre du clergé, Le Prevost de Beaumont, eut par hasard connaissance de l’acte constitutif de la compagnie Malisset ; il se proposait de dévoiler cette machination au parlement de Rouen, ne cachant nullement d’ailleurs sa résolution, lorsque soudain il disparaît… et avec lui la copie de l’acte secret de la société Malisset dont il était porteur… Or, près de quinze années après, lors de la prise de la Bastille, on retrouva Le Prevost de Beaumont au fond de l’un des cachots de cette prison d’État. Ce fait seul prouverait surabondamment la complicité du roi dans Le Pacte de Famine. Ses effroyables conséquences ne tardèrent pas de se manifester. La disette décima le peuple, de 1765 à 1767 ; le prix des grains atteignit à un taux inouï ; les procédés des monopoleurs royaux étaient d’ailleurs fort simples. Ainsi, la récolte étant, par exemple, abondante dans le Languedoc, l’abbé Terray défendait l’exportation des blés de cette province, et la faisait acheter à vil prix par ses agents, tandis que, si la récolte avait été mauvaise en Bretagne, il ouvrait ses ports à l’importation des grains de la compagnie, entreposés par ses ordres à l’île de Jersey, les revendant alors avec des bénéfices énormes. Les familiers de Louis XV voyaient souvent sur sa table un carnet où il inscrivait les variations de la valeur des céréales selon les différents marchés du royaume. Le cynisme de ce trafic homicide fut poussé à