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Frantz de Gerolstein ; — Ah ! si l’on osait douter de la légitimité de la révolution décisive que la prise de la Bastille vient d’inaugurer aujourd’hui, le droit de cette sainte, trois fois sainte révolution, ne serait-il pas prouvé par cette légende écrite avec les larmes et le sang de nos pères ?

— Peut-être le moment est-il venu d’accomplir le vœu émis autrefois par notre aïeul Christian-l’imprimeur, — reprit M. Lebrenn. — Il pensait que tôt ou tard il serait utile de publier notre légende, non comme œuvre d’art… elle n’a nulle valeur littéraire… mais comme œuvre d’enseignement historique pour nos frères du peuple laissés jusqu’ici dans une profonde ignorance de sa véritable histoire…

— Je pense comme vous, monsieur Lebrenn, — reprit Frantz de Gerolstein ; — rien ne serait plus opportun que cette publication en ce temps-ci. Bientôt, par la force des choses, se posera nettement la question entre la monarchie et la république… Ces naïfs récits, empreints d’une irrécusable sincérité, écrits d’âge en âge par les témoins ou les victimes de tant d’atrocités, résument et démontrent l’effroyable iniquité de la domination des rois et de leurs éternels complices, les nobles et les gens d’église ; oui, ces naïfs récits auraient une puissante influence sur l’esprit de nos frères du peuple ; tôt ou tard ils seront appelés de nos jours à décider souverainement de la forme du gouvernement de la nation… Votre légende leur apprendrait que la tradition républicaine s’est, pour ainsi dire, perpétuée d’âge en âge par l’insurrection, depuis que l’antique république des Gaules fédérées a été conquise, asservie par les empereurs romains et les rois francs.

— Lorsque j’ai été emprisonné à la Bastille, reprit M. Lebrenn, — j’espérais, voyant Louis XVI prendre pour ministres des hommes tels que Turgot, Malesherbes, Necker, j’espérais qu’une ère de liberté allait s’ouvrir pour la France ; je songeais, à l’aide de quelques amis que je comptais, quoique artisan, parmi les encyclopédistes, entreprendre la publication de nos légendes, publication qu’ils approu-