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fait sur l’honneur… Tantôt, passant devant l’Hôtel de Ville, j’ai été témoin de ce sublime désintéressement du peuple, et je me suis écrié : Ô grand peuple… tu…

— … Quant au meurtre de M. de Flesselles, — reprend Jean Lebrenn interrompant de nouveau l’avocat sans paraître l’avoir entendu, — quant à ces lâches et horribles assassinats, le vrai peuple les répudie, les déplore, les exècre ! Et il serait le premier à faire prompte justice des meurtriers s’il était témoin de ces massacres !

— Citoyen Jean Lebrenn, — répond M. Hubert avec l’invincible obstination de l’homme prévenu et que les meilleures raisons ne peuvent fléchir, — nous ne saurions jamais nous convaincre l’un l’autre… votre partialité pour votre classe vous aveugle ; peut-être suis-je aussi moi même aveuglé par une égale partialité ! Détestables préjugés, direz-vous ? Soit, je suis trop vieux pour les surmonter, et vous êtes, vous, trop jeune, trop ardent… j’ajouterai même trop généreusement convaincu, pour renoncer à vos convictions ! ! Donc, brisons là ! ! Mais avant de nous séparer, je vous demande franchement excuse du grossier emportement qui, chez moi, a précédé cet entretien auquel je dois de vous mieux connaître. Monsieur Lebrenn, je dis de vous ce que vous avez dit de moi… « Vous êtes un loyal ennemi dont on regrette l’aveuglement, mais que l’on ne peut s’empêcher d’estimer en le combattant… » Le jour est proche sans doute où nous nous retrouverons face à face et en armes dans quelque émeute des rues… Vous ferez votre devoir à la tête de l’insurrection… je ferai le mien à la tête de mon bataillon, ainsi qu’il appartient à deux hommes de cœur qui se seront serré la main avant la bataille, — ajoute M. Hubert en tendant sa main au jeune artisan. Celui-ci la prit en disant avec un profond et douloureux soupir :

— Ainsi, d’inexorables préjugés, une défiance que rien ne justifie, de vagues appréhensions, telles sont donc les causes qui, un jour peut-être… ensanglanteront la cité… rendront ennemis acharnés le peuple et la bourgeoisie, dont les intérêts sont communs… Ah !