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jeune artisan que l’une des causes de son amitié pour lui était la commisération que lui inspiraient les malheurs de la famille Lebrenn frappée dans le père et dans la fille, tous deux disparus. Jean Lebrenn éprouva d’abord une sorte de vertige en apprenant la cause de la prétendue impossibilité de son mariage avec Charlotte ; puis, éclairé par son bon sens naturel, se rappelant les doutes de son père et de Victoria au sujet du consentement de M. Desmarais à l’union de sa fille avec un garçon serrurier, Jean Lebrenn entrevit un refus hypocrite déguisé sous l’infamant prétexte invoqué par l’avocat. Cruelle fut la déception du jeune homme. Elle ruinait à la fois ses plus chères espérances et sa confiance, jusqu’alors absolue, dans la sincérité des opinions politiques du représentant du tiers état. Cette double déception parut si cruelle à Jean Lebrenn, qu’hésitant à croire, au mal ainsi que tout caractère généreux, il lui vint soudain à l’esprit cette pensée :

— Peut-être M. Desmarais, ayant eu, depuis peu, connaissance des fatales et infamantes conséquences du forfait de Louis XV, sait-il que ma sœur, restée forcément jusqu’à l’âge de dix-sept ans dans une maison de débauche, a été emprisonnée plus tard aux Filles repenties, — se disait le jeune artisan. — Instruit de ces faits, M. Desmarais, ainsi que Victoria me l’a fait observer, ne peut, par un scrupule honorablement explicable, consentir à me donner sa fille.

Jean Lebrenn, conservant donc encore l’espoir, non de vaincre les légitimes préventions du père de Charlotte, mais de ne pas être réduit à voir en lui un fourbe et un traître, refoula ses navrantes émotions, releva le front, et, tournant les yeux vers M. Desmarais, s’aperçut seulement alors de la présence de M. Hubert, pour lequel il éprouvait une antipathie profonde. Il fut surpris et affecté de la présence de ce personnage en une conjoncture délicate et pénible ; remarquant surtout que le financier s’entretenait à voix basse et d’un air sardonique avec son beau-frère.

— Monsieur… — dit Jean à M. Desmarais, — vous reconnaî-