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néreux ! ! Ah ! ce doute, je ne me le pardonnerai jamais ! — pensait Jean Lebrenn, tandis que l’avocat Desmarais poursuivait de la sorte :

— J’appartiens à ce que l’on appelle la haute bourgeoisie… et vous, mon ami, à ce qu’on appelle la classe ouvrière… Qu’est-ce que signifient ces mots vides de sens ? Est-ce que nous n’avons pas fait litière de ces prétendues distinctions sociales ? Est-ce que ce que l’on appelait les classes… ne se sont pas fondues, confondues en une seule dont le nom est sacré : la nation ?

— Noble cœur ! noble langage ! — disait Jean Lebrenn ému jusqu’aux larmes, — qu’il est doux à l’âme d’entendre de telles paroles !

— Est-ce qu’enfin votre famille n’est pas aussi honorable… en d’autres termes, aussi honnête que la mienne, mon cher Jean ? Est-ce que nos deux familles ne sont pas également sans reproche et sans tache ? Est-ce que… est-ce que…

Mais soudain l’avocat Desmarais s’interrompt comme s’il était frappé d’une idée soudaine, foudroyante… Ses traits s’assombrissent et expriment une douleur croissante ; il cache sa figure entre ses mains en balbutiant :

— Grand Dieu ! quel affreux souvenir ! ! Et j’oubliais… Ah ! malheureux jeune homme ! ! malheureux père que je suis ! !

M. Desmarais tombe accablé dans un fauteuil, en tenant toujours ses deux mains sur son visage.

Jean Lebrenn, stupéfait, alarmé, regarde l’avocat avec une angoisse inexprimable. Un secret pressentiment traverse et navre son cœur, et d’une voix altérée il dit au père de Charlotte en se rapprochant de lui :

— Monsieur, de grâce, expliquez-moi la cause de l’accablement soudain où je vous vois plongé…

— Laissez-moi, mon pauvre ami ! ! laissez-moi… je suis anéanti… brisé… Oh ! que je souffre, mon Dieu !… que je souffre… — murmure d’un accent plaintif M. Desmarais.

Jean Lebrenn, abasourdi et de plus en plus inquiet, contemple