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— Craindre de blesser ces gens-là ! mort de ma vie ! Tu n’as donc pas, non plus que ta poule mouillée de mari, une goutte de sang dans les veines ! Comment ! cette belle révolution a pour prétexte le renversement des insolents priviléges de la noblesse… et il nous faudra maintenant, au lieu de ménager les grands seigneurs, ménager, redouter messeigneurs de la populace !

— Mon frère… je t’en conjure… ne parle pas si haut… ce Jean Lebrenn est peut-être dans la salle à manger… Grand Dieu… s’il t’entendait !…

— Ah, morbleu ! s’il est là… tant mieux ! Et puisque personne ici n’ose parler net, je vais me charger de ce soin… — dit M. Hubert, le regard étincelant de colère, et se dirigeant vers la porte du salon. Mais madame Desmarais, alarmée, suppliante, saisit le financier par le bras en s’écriant d’une voix basse et tremblante :

— Mon frère… je t’en conjure ! Aie pitié de nous, mon Dieu ! tu vas nous exposer à un danger plus terrible cent fois pour nous que pour toi !… Songe donc à la position de mon mari ! Tu ne peux vouloir nous rendre responsables de tes imprudences !

M. Hubert s’arrête et cède aux prières de sa sœur, au moment où M. Desmarais, plongé dans ses réflexions et resté étranger à ce débat, sort de sa rêverie et dit à sa femme avec un soupir de grand allégement :

— Chère amie, j’ai trouvé un moyen très-plausible, dans le cas où ce Lebrenn aurait l’audace de venir me demander la main de notre fille, de repousser cette demande, sans qu’il puisse en quoi que ce soit se formaliser… Ne crains donc rien, et laisse-moi.

— Encore une lâcheté… — s’écrie M. Hubert exaspéré. — Quoi ! vous n’avez pas l’énergie de donner à ce drôle une verte leçon ?… Le craignez-vous ?… Laissez-moi le recevoir… Il se souviendra de la réception, je vous en réponds ! Ne suis-je pas l’oncle de Charlotte, et comme tel ne pouvez-vous m’autoriser à parler ici en votre nom ?…