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vous assurer le pain du jour, rien de plus… Ce n’est pas une aumône que je vous offre ; je vous assure seulement le loisir de cette grande journée, en vous délivrant des préoccupations de son lendemain. »

— Cet homme était le riche banquier Anacharsis Clootz, le trésorier des Voyants, et assez riche pour aider ainsi longtemps nos frères, — dit tout bas Frantz à Victoria, pendant que Jean continuait ainsi :

— Mes camarades, frappés des paroles et de la loyale physionomie de l’inconnu, acceptèrent son offre après une assez longue hésitation. Il fouilla dans une poche de cuir cachée sous sa houppelande, et remettant à Dumont le charpentier dix louis d’or, il lui dit : — « Frère, voilà de quoi acheter aujourd’hui le pain et le vin nécessaires à cent cinquante hommes environ ; partagez-vous cette somme… Si demain la bataille continue… vous me reverrez ici… » — Puis il disparaît…

— En effet, cela est aussi généreux qu’étrange, — dit le vieil aveugle. — Et sais-tu, mon fils… quel était cet étranger ?

— Non ; mais j’ai appris par d’autres de mes camarades que plusieurs inconnus avaient, dans un but pareil, distribué des sommes considérables en louis d’or. Ai-je besoin d’ajouter que ceux-là seuls, parmi nous, qui se trouvaient dans la nécessité d’accepter ce secours, ont consenti à le recevoir, dans la proportion d’un louis pour dix ou douze hommes ?

— Quelle sollicitude réfléchie ! quelle profonde intelligence de la situation ! — reprend le vieillard pensif. — Il est pénible d’ignorer quels sont ces mystérieux amis du peuple…

— Quels qu’ils soient, regardons-les comme des frères dévoués, — reprend Frantz de Gerolstein. — Et maintenant, monsieur Lebrenn, pourrez-vous hésiter encore à accepter, ainsi que Jean, mes offres de service… à moi, votre ami, votre parent… à moi, soldat dévoué de notre cause commune ?