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rable fatalité du mal ! mon père, l’unique soutien de sa famille, est enlevé à notre tendresse… jeté dans un cachot, il y devient aveugle et perclus ! Voyez ma mère… la disparition de mon père a failli la tuer… sa santé est à jamais perdue ! Voyez moi… j’aime une noble jeune fille… je suis aimé d’elle… inexorable fatalité du mal ! le forfait de Louis XV se dresse encore entre moi et ma fiancée ! Mon mariage est impossible… si ma sœur, victime de ce crime… ne passe pour morte ! !… Et ce crime de roi, qui me frappe, qui frappe les miens, je ne le ferai pas, si je peux, expier à cette race de rois… misère de nous ! !… Il n’y aurait donc plus de justice ? ni au ciel ni sur terre !…

La famille Lebrenn a silencieusement écouté la véhémente apostrophe de Jean avec une douloureuse consternation, songeant aux épouvantables conséquences d’un caprice de ce bon roi cherchant à réchauffer sa vieillesse de Salomon… ainsi que disaient après boire les joyeux courtisans de Versailles.

Victoria rompt ce pénible silence et, reprenant son masque impassible tombé malgré elle au souvenir de son unique et premier amour, elle reprend d’une voix ferme :

— Patience, frère, patience, les temps approchent, ainsi que l’a prophétisé notre père ! Ah ! les prêtres affirment la tache originelle de l’homme ? ah ! cette tache indélébile, disent-ils, le condamne aux misères… aux larmes éternelles ! Eh bien ! le peuple, le vrai souverain, affirmera, lui, la tache originelle, sanglante de cette royauté franque étrangère à la Gaule et à elle imposée par la conquête, par le massacre ! Oui, et au nom de cette tache indélébile aussi ! ! cette race des Capets, usurpatrice séculaire de la souveraineté du peuple, sera par lui tôt ou tard également accusée, jugée… châtiée dans son dernier rejeton !… Revenons à ce qui te concerne, frère, nos parents et moi nous t’adjurons de ne pas céder à l’imprudente expansion d’une confiance généreuse en révélant à mademoiselle Desmarais ma triste destinée !