Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Tu vois donc bien… cher fils, — dit M. Lebrenn, — il se trouve des bourgeois orgueilleux jusque dans la famille de cette jeune personne…

— Oui, mon père ; mais en raison même de leur différence d’opinion, M. Desmarais a rompu avec son beau-frère… Aussi, crois moi, de grands, de généreux progrès se sont accomplis durant ta captivité… durant ces derniers temps surtout… Peuple et bourgeoisie ne font maintenant qu’un seul parti… unis par les mêmes intérêts, par les mêmes espérances, par la même résolution d’abolir les exorbitants privilèges de leurs ennemis séculaires… la royauté, l’Église et la noblesse… La bourgeoisie, dans la lutte qu’elle a engagée contre le trône et ses soutiens naturels, n’a d’autre appui que le peuple ! Il est le bras… elle est la tête ! ! Le tiers état possède les lumières, la richesse ; mais nous autres, déshérités de ces avantages que nous voulons conquérir un jour, en partie du moins, grâce aux réformes et aux institutions nouvelles… nous autres, gens du peuple, nous avons la force, le nombre, l’action… Or, le tiers état, pour accomplir la révolution… a autant, sinon davantage, besoin de notre concours… que nous n’avons besoin du sien !

— Soit, mon fils ; mais… crois-moi… des préjugés séculaires ne s’effacent point en un jour… et pendant longtemps encore, je le crains… le bourgeois verra entre lui et l’artisan la même distance qui le sépare, lui bourgeois, de la noblesse…

— Cependant, mon ami, — reprend madame Lebrenn, — M. Desmarais a toujours traité notre fils en égal, en ami… Il l’invitait à aller passer chez lui les soirées en famille… Il ne tarit pas sur la reconnaissance qu’il doit à Jean…

— Et à quel propos, Marianne… cette reconnaissance ? — demanda le vieil aveugle ; — quel service notre fils a-t-il pu rendre à M. Desmarais ?

— Je me suis employé de toutes les forces de ma conviction à assurer son élection de député aux États généraux, — reprend le