Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa femme et sa fille, que celle-ci, se jetant au cou de son père en fondant en larmes, lui avait dit d’une voix entrecoupée par des sanglots de joie :

— Merci… oh ! merci…

— Que voulez-vous, mademoiselle ? — demanda M. Desmarais ; et ses traits, empreints d’une expression cordiale et touchante durant sa harangue populaire, redevinrent soudain sévères et irrités. — De quoi me remerciez-vous, s’il vous plaît ?

— Ah ! je vous remercie du fond de l’âme des nobles paroles que vous venez d’adresser à M. Jean Lebrenn et à son père, — répond Charlotte avec expansion, ne remarquant pas encore le brusque changement de la physionomie de l’avocat. — Après cet hommage public rendu aux vertus civiques, à l’héroïsme, au généreux caractère de celui que vous avez de nouveau appelé votre jeune et digne ami… de celui que vous avez envié pour votre fils, vous devez m’approuver de lui avoir engagé ma foi ! Vos injustes préventions se sont, grâce à Dieu, dissipées !

— Quoi ! mademoiselle ! — s’écrie M. Desmarais repoussant d’un geste courroucé sa fille qui le contemple avec stupeur, — quoi… parce que les circonstances… les nécessités politiques de ma position m’ont malheureusement forcé d’adresser quelques paroles banales à ces forcenés, vous prétendez abuser de l’obligation à laquelle vous m’avez vu réduit, afin de sauvegarder ma maison du pillage… et peut-être de sauver ma vie… celle de ma femme et la vôtre ! Quoi ! vous arguez de ma contrainte pour oser espérer que je favorise votre honteux et ignoble amour !

— Grand Dieu ! — s’écrie Charlotte pâlissant, — qu’entends-je…

— Mon ami, calme-toi… — reprend madame Desmarais, — ta fille a pu être trompée par tes paroles…

— Non, non ! mais elle compte en abuser, l’effrontée ! ! elle croit que j’oublierai mes devoirs de père à ce point de consentir à son mariage avec un garçon serrurier !