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— Un mot encore, citoyen Desmarais, sur la signification de la prise de la Bastille… Cela signifie que le peuple… le vrai peuple intrépide pendant la lutte… est clément après la bataille ; les soldats, les officiers, le gouverneur de la forteresse, trouvés vivants, ont été épargnés… et sont sortis sains et saufs protégés par le brave Hulin et d’autres patriotes… Ah ! je sais… et je m’en indigne, on dit que de Launay et plusieurs officiers, respectés par nous les vainqueurs, ont été massacrés durant le trajet de la Bastille à l’Hôtel de Ville, par de lâches assassins qui s’étaient cachés pendant le combat… Le peuple, le vrai peuple répudie ces meurtres…

— Oui, oui… crient mille voix énergiques, — à bas les lâches ! À bas les assassins !

— Ah ! la victoire de la Bastille est pure de toute souillure, voilà pourquoi sa signification est si haute et si puissante, citoyen Desmarais ! — s’écrie Jean Lebrenn, — cette signification la voici : Il faut que la révolution entreprise au nom des droits sacrés de l’humanité s’accomplisse ! il faut qu’elle soit glorieuse, féconde et respectée en vous, représentants de la nation ! La prise de la Bastille signifie encore que le peuple a compris qu’il n’est pas de liberté possible, tant qu’une forteresse, symbole du pouvoir militaire et despotique, menace de ses canons la citée désarmée ! cette grande journée du 14 juillet signifie enfin que dans sa compassion de toutes les victimes de la tyrannie, le peuple a fait acte de fraternité en ne laissant pas pierre sur pierre d’une prison d’État, surtout destinée à la noblesse ou à la bourgeoisie ! Ô sublime désintéressement ! Ce n’était pas nous, nous le savions bien, que l’on emprisonnait à la Bastille. L’on nous jetait à Bicêtre !… nous autres !… Quels ont été jadis et de nos jours les martyrs plongés dans ces affreux cachots ? les Nemours, les Biron, les Bassompierre, les Lally-Tollendal, les Rohan !… des princes… des grands seigneurs ! ! ! Quels sont donc les prisonniers délivrés par nous aujourd’hui ? sauf mon père que voilà… citoyen Desmarais… mon père devenu perclus, aveugle dans