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Est-ce qu’on ne tournait pas ses canons contre les faubourgs ? Est-ce que depuis trois jours surtout la trahison n’était pas dans l’air que nous respirons ? Aussi le peuple a-t-il été saisi de cette fièvre d’insurrection qu’il ressent toujours à l’approche des grands dangers. Est-ce qu’enfin… et ceci, je le jure sur mon âme ! — ajoute Jean Lebrenn, jetant un regard d’intelligence à Victoria pâle, grave, toujours debout sur son canon et immobile comme une statue, — est-ce qu’enfin hier, dans un conciliabule nocturne, le parti de la cour n’avait pas résolu d’agir aujourd’hui même ? Oui, aujourd’hui, l’Assemblée nationale devait être dissoute par la force ! Les représentants de la gauche auraient été les uns prisonniers, les autres proscrits, les autres fusillés ! Le maréchal de Broglie marchait ensuite sur Paris à la tête d’une armée… Si Paris résistait, il était mis à feu et à sang ! Je le jure sur mon âme : tel était le projet de la cour.

Une explosion de clameurs de courroux et d’indignation poussés par la foule couvre pendant un moment la voix de Jean Lebrenn. Il reprend :

— En présence de ce danger de vie ou de mort pour la révolution qu’il veut accomplir… qu’il accomplira… que devait faire le peuple de Paris ?… Il devait faire ce qu’il a fait ! Guidé par le divin instinct du salut public, il a couru aux armes ! La cour allait de nouveau sortir de la légalité… il en est cette fois sorti avant elle ! il a prévenu la trahison… Il a frappé pour n’être pas frappé… Il a, par un coup hardi, par une victoire éclatante, par un audacieux défi… prouvé à ses ennemis qu’il les bravait, eux, leurs soldats, leurs canons, leur forteresse… Oui, il leur a prouvé que s’ils recouraient à la trahison appuyée par la force, la trahison serait déjouée, la force écrasée par l’énergie populaire… Et voilà pourquoi, citoyen Desmarais, nous avons pris la Bastille…

— Vive la nation ! — À bas ses ennemis ! — Vive l’Assemblée nationale ! — crie la foule de sa voix tonnante, interrompant Jean Lebrenn ; puis il poursuit ainsi :