Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il fait, ainsi que le disait sa femme, « contre fortune bon cœur ; » il espère conserver le bénéfice de sa popularité, ou échapper du moins aux hontes, peut-être même aux châtiments de son indigne hypocrisie et de sa secrète trahison ; il semble transfiguré ; souriant, avenant, empressé, il commence d’abord en bon prince par saluer du sourire, du regard et du geste le populaire assemblé sous ses fenêtres, il s’incline ensuite humblement lors du redoublement de ces cris de : Vivent les bons patriotes ! — Vive le citoyen Desmarais ! — Vive l’ami du peuple ! — Vive la nation ! — et place sa main sur son cœur afin d’exprimer par cette touchante pantomime l’émotion, la reconnaissance dont il se sentait pénétré en présence d’un accueil si flatteur !

Soudain un grand silence se fait parmi les vainqueurs de la Bastille. Les compagnons de Jean Lebrenn, sachant les liens d’amitié qui unissent l’avocat au jeune artisan, ont engagé celui-ci à être leur interprète. Il s’avance au bord de la charrette où il se tient debout à côté de son père et d’une voix émue, mais vibrante et sonore, il s’adresse ainsi au père de Charlotte, penché au balcon de sa maison :

— Citoyen Desmarais, hardi défenseur des droits du peuple ! honneur et merci à vous, notre mandataire à l’Assemblée nationale ! vos votes, vos actes, vos discours patriotiques ont tenu, ont dépassé vos promesses ! Honneur et merci à l’ami du peuple !

— Oui ! oui… honneur à vous ! — acclame avec effusion le populaire, — Vive le citoyen Desmarais ! Merci et honneur à l’ami du peuple !

Jean Lebrenn réclame d’un geste le silence, et continue de la sorte :

— Nous venons de prendre la Bastille… nous devons vous dire… à vous, notre ami… pourquoi nous avons pris la Bastille ! Vous et nous, nous sommes solidaires ; vous nous devez compte de vos actes, nous vous devons compte des nôtres. Sachez donc pourquoi nous avons pris la Bastille… Depuis plusieurs jours, des bruits sinistres circulaient dans Paris ! on redoutait une nouvelle trahison de la