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enfant de huit à neuf ans accompagnait cet horrible assassin et, comme lui, poussait des cris de mort !

— Bonté divine… en quel temps vivons-nous ! — murmure madame Desmarais frémissant, — tant de férocité chez un enfant…

— Je ne puis te dire l’horreur que m’inspiraient ces cris de meurtre poussés par cette voix enfantine et grêle… Les yeux de ce petit monstre étincelaient d’une cruauté précoce… Du reste, il faut le dire, plusieurs hommes et surtout plusieurs femmes du peuple furent d’abord indignés de la présence et des cris de cet affreux enfant… La populace, jusqu’alors dans l’enivrement de la victoire de la Bastille, enivrement presque toujours généreux, s’était d’abord montrée plus impétueuse que féroce ; elle avait même applaudi à ceux qui, dans l’espoir de sauver le malheureux Flesselles, demandaient pour lui des juges. — « C’est juste, s’il est traître au peuple, il faut qu’il soit jugé… » — répétait-on dans la foule, mais bientôt les déclamations frénétiques, sanguinaires de l’homme à barbe rousse et du géant, adressées à leur bande, exaspérèrent la furie de ces misérables, et le premier, l’homme à barbe rousse, armé d’un pistolet, tire sur le malheureux Flesselles ; il tombe. La bande féroce s’acharne sur le cadavre, le crible de blessures, et le géant eut l’effroyable courage de couper la tête du prévôt des marchands, de la planter sur le fer d’une pique et de brandir ce hideux trophée aux acclamations sauvages de la multitude et de l’affreux enfant qui trépignait de joie.

— Ah ! je frissonne en songeant à ta présence au milieu de cette horrible populace, — reprend madame Desmarais. — À quel danger tu as échappé…

— Oui, voilà ce que j’ai vu… et malheur… malheur ! d’autres meurtres suivront ce premier meurtre ! le premier sang versé jette le peuple dans une sorte de frénésie… Enfin, épouvanté de ce spectacle, j’ai fui les abords de l’Hôtel de Ville et suis revenu ici chercher auprès de toi, chère femme, et auprès de notre fille, sinon l’oubli, du