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Puis peu à peu le bruit de ce tumulte s’amoindrit, s’éloigne et un profond silence règne dans le salon.

— Qu’entends-je ! ! la Bastille est prise… mais que de sang a dû couler pendant cette héroïque attaque ? — pensait Charlotte, frémissant et s’efforçant de dominer ses cruelles appréhensions au sujet du sort de Jean Lebrenn ; puis, portant son mouchoir à ses lèvres frissonnantes afin d’étouffer un sanglot : — Mort peut-être… mort sans doute… je connais son courage !…

— Mon ami… quels sont ces cris ? — avait dit madame Desmarais à son mari. — Est-ce croyable ?… la Bastille… cette redoutable forteresse… serait au pouvoir du peuple ?…

— Il n’est que trop vrai ! Ô triomphe exécrable ! ! ce jour néfaste aura vu la première victoire d’une sauvage insurrection contre la royauté, gouvernement légal après tout, et que nous voulons modifier dans notre sens… nous subordonner, mais non point renverser ! C’est notre bouclier contre la populace… elle est maintenant déchaînée… où s’arrêtera-t-elle ?… — répond avec accablement l’avocat Desmarais en se jetant épuisé sur un fauteuil ; puis il ajoute en cachant sa figure entre ses mains : — Ah ! ma femme… ah ! ma fille… si vous saviez de quel affreux spectacle j’ai été témoin… Maudite à jamais soit la prise de la Bastille ! !

Charlotte, bien qu’en proie à de mortelles angoisses au sujet de Jean Lebrenn et d’ailleurs complétement étrangère à la politique, fut pourtant stupéfaite des paroles de son père, déplorant ainsi, lui, l’un des plus fougueux tribuns de l’Assemblée, l’héroïque victoire du peuple insurgé !…

Soudain Gertrude entre dans le salon, criant du seuil de la porte avec allégresse :

— Ah ! monsieur… ah ! madame, encore une bonne nouvelle !

— Quelle bonne nouvelle ? — demande la femme de l’avocat. — Expliquez-vous, Gertrude.

— La mère Lebrenn, notre voisine, vient d’envoyer l’apprenti de