Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(Les convives de M. de Plouernel se lèvent de table et se forment en groupes avant de se séparer.)

l’abbé morlet, à part, les suivant de l’œil. — Niais courtisans… chevaliers imbéciles… prélats stupides… allez à Versailles… allez ! Demain, la lie de la populace aura coupé sa première tête ! ! goûté le sang qui doit l’enivrer, cette bête féroce ! l’appétit du meurtre vient en égorgeant… Quant à cette marquise étrangère, de qui je me défie un peu… mais suffisamment… je connaîtrai son logis… et sa belle tête pâle à cheveux noirs… pourra bien être, demain, promenée au bout d’une pique ! ! Allons vite déterrer dans son coupe-gorge ce sacripant de Lehiron, ancien suisse à la paroisse de Saint-Médard ; il pourra cette nuit me colliger dextrement une bande de scélérats à faire frémir la nature ! ! Allons aussi préparer mon déguisement et celui de mon fillot, le petit Rodin… il fait bon, en ces temps-ci, de mettre de bonne heure les enfants dans le monde.

Le jésuite sort le premier en saluant révérencieusement la brillante compagnie.

_____

Les convives du comte de Plouernel ont depuis une demi-heure environ quitté son hôtel. Il est demeuré seul avec Victoria Lebrenn dans le salon des portraits représentant les descendants des Neroweg, depuis le fondateur de cette antique maison, leude de Clovis et comte au pays d’Auvergne par le droit de son épée, jusqu’à Marie-Anne-Hector-Tancrède Neroweg, comte de Plouernel, lieutenant général des armées du roi, grand-croix de l’ordre de Saint-Louis, etc., etc., etc., père du comte actuel et de son frère l’abbé de Plouernel. Les souvenirs éveillés par la vue des portraits de cette famille franque avec laquelle les fils de Joël-le-Gaulois se sont tant de fois hostilement rencontrés à travers les âges, et dont le dernier descendant, qu’elle hait d’une haine inexorable, est là près d’elle… ces souvenirs ont plongé Victoria dans une rêverie profonde ; de