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chanoines, archevêques. Parmi ces convives se trouvait le vicomte de Mirabeau, surnommé, en raison de son énorme obésité, Mirabeau-Tonneau. Il était colonel d’infanterie, frère puîné du célèbre tribun du tiers état et l’un des chefs les plus ardents de la faction royaliste. Il semblait en grand courroux, et s’adressant à M. de Plouernel d’une voix éclatante :

— Bonsoir, cher comte… Au diable cette infâme ville de Paris et les Parisiens !

— D’où te vient, vicomte, cette furieuse colère ?

— Sache donc que tout à l’heure, ce vil populaire qui, ce soir, sorti de ses taudis, afflue dans les rues, où il grouille comme grouillent dans un marais les bestioles immondes par un soir d’orage… sache donc que ce vil populaire a eu l’audace d’arrêter mon carrosse sur le pont Louis XV !

— Ils s’adressaient mal, et que leur as-tu dit, vicomte ?

— Je traitais déjà fort irrévérencieusement d’abjecte canaille cette respectable fraction du peuple souverain, lorsque mon misérable laquais, tremblant comme un lièvre et espérant nous dégager, eut l’infernale idée de crier à ces gredins : « Faites donc place, s’il vous plaît, au carrosse de M. de Mirabeau… » Aussitôt, la tempête de se changer en bonace… et le stupide populaire m’ouvre passage aux cris de : Vive Mirabeau !

— L’on te prenait pour ton frère… mon pauvre vicomte… la méprise est sanglante !

— Mort et furie ! Il n’est que trop vrai ! En vain, me jetant à la portière et étranglant de fureur, je criais à cette canaille : « Je suis Mirabeau-Tonneau !… Manants… goujats… pieds-plats ! je vous méprise, je vous abhorre, je vous brave… autant que mon indigne frère vous flagorne… et vous craint !… » Mais, bast ! ma voix se perdait au milieu de leurs cris forcenés de : Vive Mirabeau ! … Sang-Dieu !… je ne pardonnerai jamais à mon frère cette avanie… Échapper malgré moi à un danger, grâce au nom de ce traître qui fut le