Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pandit sous main, dans le public, un écrit foudroyant dont il était l’auteur et intitulé : Une nuit de Louis XV. Peu de jours après la publication de cet écrit, mon père ne revint pas le soir à la maison… Depuis lors, nous avons toujours ignoré sa destinée. Sans doute il est mort ou il languit dans les cachots d’une prison d’État. Je restai une année près de ma mère et de mon jeune frère… je m’efforçais de réhabiliter mon passé, je m’appliquais à mon apprentissage du métier de couturière, je ne fus plus une charge pour ma mère : mon corps était souillé, mon cœur restait pur. Je n’avais jamais aimé… Je ressentis un amour profond pour un jeune sergent aux gardes-françaises, fils de l’une de nos voisines, et nommé Maurice. Il partagea ma violente passion : il ignorait dans quelle fange s’était traînée ma première jeunesse ; il me croyait en tout digne de lui, je n’eus pas la force de le désabuser, tant je craignais ses mépris. Il demanda ma main à ma mère. Je la conjurai de cacher à Maurice mes hontes passées ; émue par mes larmes, elle consentit à garder le silence. Nous fûmes fiancés, Maurice et moi. Je touchais au comble de mes vœux ; j’éprouvais cependant un secret remords de tromper l’homme d’honneur qui m’offrait loyalement sa main ; mais je me rassurais, certaine d’accomplir scrupuleusement mes devoirs d’épouse, et de rendre mon mari aussi heureux que possible. Ma dissimulation fut cruellement punie. Un jour, je me promenais avec ma mère et mon fiancé ; l’une de mes anciennes compagnes, tombée dans le vice le plus hideux, nous rencontra. Elle était ivre, me reconnut, et, en quelques mots d’une signification terrible, me rappela nos orgies d’autrefois… Épouvantée de l’expression des traits de Maurice à cette affreuse révélation, mon cœur se brisa, je défaillis. Lorsque je repris connaissance, ma mère, restée près de moi, fondait en larmes. Voici ce qu’elle m’apprit : Sommée par mon fiancé de lui dire toute la vérité, car il ne pouvait encore se résoudre à croire à mon indignité passée, ma mère n’osa mentir. Maurice,