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cha de moi ; elle m’examina très-attentivement, me fit, d’une voix doucereuse, mille compliments sur ma gentillesse ; puis, remarquant l’écuelle contenant le repas de mon père, et apprenant par moi que je me rendais près de lui, elle me proposa de m’épargner la peine d’aller à pied rue du Bac. Elle m’y conduirait, disait-elle, en voiture. Je fus séduite par les dehors affectueux de cette femme, et enchantée d’aller en carrosse pour la première fois de ma vie ; je cédai à ses propositions. Un fiacre, où je montai avec ma conductrice, l’attendait près du pont tournant. Elle m’offrit de prendre quelques pastilles dans sa bonbonnière ; j’acceptai. Elles contenaient sans doute un narcotique, car au bout de quelques instants je tombai dans un sommeil invincible. Lorsque je me suis réveillée, il faisait nuit ; je me vis couchée dans un grand lit à courtines de damas. La chambre, au plafond peint et doré, me parut meublée avec une incroyable magnificence. J’étais éblouie ; je croyais rêver. Assise à mon chevet, se tenait la femme qui m’avait amenée en ces lieux. Je lui demandai où j’étais. Je pleurais en songeant à l’inquiétude de mes parents ; cette femme me rassura, me promettant qu’ils seraient bientôt près de moi ; elle ajouta que je me trouvais dans la maison d’une personne de grande qualité qui, s’intéressant à ma jeunesse, me voulait beaucoup de bien et enrichirait ma famille. Je ne crus plus rêver, mais être l’héroïne d’un conte de fées. Deux matrones entrèrent ; elles me firent lever et me mirent dans un bain parfumé ; puis elles tressèrent mes cheveux, où l’on enroula un fil de perles ; l’on me vêtit de soie et de dentelles, l’on me servit à souper dans de la vaisselle d’or. J’éprouvais une sorte de vertige ; j’obéissais machinalement. Cependant je demandai encore mon père et ma mère. La femme me répondit que dans peu d’instants ils arriveraient, bien glorieux de me voir si belle… Un homme d’une physionomie dure entra dans la chambre. J’entendis la vieille femme l’appeler M. Lebel, en lui parlant à l’oreille avec une extrême déférence ; il m’examinait attentivement. —