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demande à me voir, à cette heure où il est atteint, dit-on, d’une maladie dont je voudrais pouvoir douter encore… Je ne m’attendais pas à cette preuve de tendresse de sa part ; aussi, vous le disais-je il y a un instant, puisse la maladie de Raoul ne s’être pas aggravée, puisque, hélas ! ainsi que tant d’autres, il a conservé le préjugé de la mort.

— Le préjugé de la mort ! — dit la marquise, haussant les épaules et se contenant à peine, — encore cette extravagante imagination !

— Sublime extravagance ! — reprit Berthe avec un sourire radieux, — elle nous délivre des lâches terreurs du trépas, et nous donne la certitude d’aller revivre auprès de ceux-là que nous avons aimés !

— Tenez, ma nièce, parfois je vous croirais folle, si je ne savais combien vous vous plaisez dans ces affectations d’étrangeté… Quoi qu’il en soit, j’ai l’infirmité de partager avec votre frère et une foule de pauvres esprits faibles le vulgaire préjugé de la mort ; j’espère, et j’ai tout lieu d’espérer, que l’état de santé de Raoul, bien que grave, n’offre rien de positivement alarmant. Éloigné de son pays, de sa famille, de ses amis, mais regardant comme un devoir sacré de rester à Londres, pour le service du roi, notre maître, il est tombé dans une sorte de langueur maladive, de noire mélancolie, et il compte sur notre présence, surtout sur la vôtre, pour dissiper son chagrin…

— Une maladie de langueur ? — reprit mademoiselle de Plouernel pensive, — une pareille maladie est, ce me semble, ordinairement précédée de symptômes d’abattement, de tristesse, et M. de Noirmont nous disait que, lorsqu’il l’a quitté, Raoul, par son esprit, sa grâce et sa gaieté toute française, éclipsait les plus brillants seigneurs de la cour du roi Charles II ?

— Hé, sans doute !… Ce pauvre Raoul est en effet capable des plus grands sacrifices pour représenter dignement son maître, notre grand roi !