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inquiété dans la vive sollicitude qu’il vous porte… puisqu’il doit remplir envers vous les rigides devoirs d’un père.

— Je pourrais, ma tante, vous répondre que Raoul se montrait froid et sévère à mon égard avant la perte de mon père et de ma pauvre mère… perte qui serait, hélas ! irréparable… sans ma certitude d’aller revivre un jour près de cette mère idolâtrée…

— La perte de votre père doit être, pour vous, non moins irréparable que celle de votre mère, — reprit la marquise avec une sorte d’aigreur, — la distinction que vous établissez à propos de vos regrets me semble au moins étrange.

— Ma tante, — reprit Berthe d’une voix ferme, — je respectais mon père et j’adorais ma mère… Elle m’a nourrie, élevée, instruite ; je ne l’ai jamais quittée. Mes jours les plus heureux se sont écoulés près d’elle, en Bretagne, dans la solitude de notre château de Plouernel, où j’ai passé mes dix-huit premières années, tandis que mon père vivait à la cour… À peine le voyais-je chaque année, pendant quelques semaines, lorsque la saison de la chasse l’amenait dans ses domaines ; ma mère m’a donc laissé des souvenirs nombreux, incessants et profondément chers : ils me rendent, ils me rendront toujours sa perte… ou plutôt son absence, irréparable, du moins en ce monde. Mais revenons à Raoul ; je vous le disais tout à l’heure, il se montrait déjà, quoique bien jeune encore, froid et hautain envers moi, lorsqu’il accompagnait mon père en Bretagne… et s’offensait de ce que je me permettais d’avoir une manière de voir à moi, et souvent autre que la sienne.

— C’est qu’en effet, pour des gens de notre naissance, ma chère, il n’est au monde qu’une manière de voir à l’égard d’une foule de sujets…

— Je suis, en ce cas, une exception à la règle commune ; mais peu importe ceci. J’ai, croyez-le, ma tante, le plus vif désir de reconnaître ma méprise au sujet des sentiments de Raoul à mon égard ; et j’ai été, je l’avoue, profondément touchée de ce qu’il