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de la marée montante. Cette manœuvre fut heureusement exécutée par le jeune maître de la caravelle ; ses matelots lancèrent une amarre au brigantin, bordèrent leurs gigantesques avirons de galère, afin de suppléer à la brise expirante ; et au bout d’une heure, remorqué à force de rames, le Saint-Éloi, à l’abri de tout danger, jetait l’ancre dans le port de Delft.


Madame la marquise du Tremblay, débarquée au port de Delft, et reprenant ses esprits jusqu’alors si terriblement troublés par la frayeur de la tempête, se souvint d’avoir souvent rencontré à Paris un certain M. de Tilly chez M. Van Orbek, riche hollandais qui, rivalisant de somptuosité avec le fameux traitant Samuel Bernard, donnait les plus belles fêtes du monde où se pressaient la cour et la ville. M. de Tilly avait, en ce temps-là, courtoisement proposé à la marquise de la recevoir à La Haye si par hasard elle y venait, et de mettre son logis à ses ordres. Elle se rappela cette offre, et trouvant très-désobligeant d’attendre dans une misérable hôtellerie du port de Delft, soit la réparation du Saint-Éloi, soit la partance d’un navire neutre faisant voile pour l’Angleterre, occasion rare depuis la guerre, madame du Tremblay dépêcha un exprès à M. de Tilly, persuadée qu’il se tiendrait très-honoré de lui donner l’hospitalité. En effet, il s’empressa fort galamment de se rendre de La Haye à Delft dans son carrosse, où il emmena madame du Tremblay, sa nièce et l’abbé Boujaron, mettant sa demeure à leur disposition, et pouvant d’autant mieux leur offrir l’hospitalité, — ajouta-t-il, — que sa femme était alors à Amsterdam, auprès de sa mère malade.

La marquise demeurait depuis vingt-quatre heures à La Haye, chez M. de Tilly, et occupait, au premier étage de sa maison, un appartement dont le vaste salon était meublé avec le luxe particulier à ces républicains navigateurs qui, trafiquant avec le monde entier,