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Charles II, roi d’Angleterre. Quoique cette dernière puissance et la France fussent, depuis le commencement de l’année, en guerre avec la république de Hollande, ou plutôt des sept Provinces-Unies, les étrangers obtenaient parfois, du collège de l’amirauté d’Amsterdam, des lettres de sauve-garde, grâce auxquelles l’on pouvait traverser la Manche sans rien avoir à craindre des croiseurs de l’escadre de l’amiral Ruyter. Le Saint-Éloi, muni de l’un de ces sauf-conduits, faisait donc voile pour Douvres, lorsque la tempête l’assaillit ; bientôt les passagers, afin de ne point gêner le travail des pompes à l’aide desquelles une partie du faible équipage s’efforçait de tarir une voie d’eau déclarée dans la cale, furent obligés de monter sur le pont. Leur attitude, en ce moment critique, offrait des contrastes frappants : la marquise du Tremblay, femme d’un âge mûr, autrefois fort belle et d’une physionomie hautaine, gisait, frissonnante d’effroi, étendue à l’arrière du navire, sur un matelas, soutenue par sa fille de chambre, et attachée au bordage, au moyen d’une écharpe qui, passant sous son bras, l’empêchait ainsi d’être ballottée par les brusques oscillations du roulis. À côté d’elle, et non moins qu’elle pâle, épouvanté, l’abbé Boujaron, âgé de cinquante ans, ragot, courtaud, joufflu, s’accrochait à un râtelier de manœuvres d’une main crispée, se cramponnait de l’autre au bras du laquais et poussait des gémissements plaintifs entrecoupés de lambeaux d’oraisons jaculatoires, tandis que mademoiselle Berthe de Plouernel, insoucieuse du danger, s’abandonnait à la terrible poésie de la tempête, après avoir en vain tenté de rassurer la marquise sa tante, et de lui faire partager la confiance dont ne manquent jamais les caractères vaillants. Cette jeune fille, âgée de vingt ans à peine, grande, svelte, de proportions accomplies, était brune et d’une beauté resplendissante. L’émotion, non la crainte, animait son teint ordinairement pâle, et l’éclat dont brillaient ses grands yeux noirs, surmontés de sourcils prononcés, disait assez l’espèce d’admiration fébrile que lui causait l’aspect des éléments en furie ; la narine frémissante, le sein