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parti de lui envoyer les informations que j’ai faites, et de le prier de me mander les intentions de Sa Majesté. »

M. de Louvois, honorant le régiment de Tilladet de sa toute puissante protection, et montrant une indigne tolérance pour le dérèglement des gens de guerre, le maréchal des logis ne fut par pendu. La contagion du mauvais exemple gagna (dit M. de Ménars dans la même dépêche) les régiments de Los-Marra et de Luxbourg, qui rançonnèrent et traitèrent outrageusement les habitants. Enfin, M. de Ménars joint à cette dépêche un arrêté rendu par lui ; il suffira de le mettre sous les yeux du lecteur, pour démontrer à quel point en étaient venues l’audace et les pilleries de la soldatesque sous le règne de Louis XIV. Or, personne ne croira que le prince, doué d’une volonté inexorable, investi du pouvoir le plus absolu que souverain ait jamais exercé, n’ait pu, s’il l’eût voulu… mettre un terme à ces effrayants désordres, et faire rigoureusement exécuter les vaines ordonnances rendues en son nom par Colbert ?

Voici l’arrêté de M. de Ménars :

« Sa Majesté nous ayant ordonné de nous rendre dans les villes et les paroisses de cette généralité, pour connaître des désordres qui s’y commettent par les troupes qui sont en quartier d’hiver, nous avons reçu plusieurs plaintes dans les élections de Dourdan, Chartres, Châteaudun et Vendôme, de ce que, au préjudice de notre ordonnance dudit présent mois de mars, portant qu’il sera seulement payé, par les habitants des villes et paroisses, quarante sous pour chaque place (de soldat), y compris les onze sols portés par le règlement du roi, avec le couvert et le lit garni ; défenses aux officiers et aux cavaliers d’exiger plus grandes sommes, à peine contre les officiers de concussion. Les officiers et cavaliers ne laissent pas d’exiger plus que lesdits quarante sols ; les uns se faisant payer jusqu’à trois livres avec la nourriture d’eux et de leurs chevaux, obligeant les habitants de donner du foin dans les lieu où il ne s’en recueille point, leur étant du tout impossible d’en fournir ; les autres frappent et excèdent lesdits habitants, s’ils ne leur donnent les sommes qu’ils demandent, sous prétexte de quelques compositions, qu’ils leur ont prié de faire à des sommes excessives ; et, non contents de toutes ces sortes d’exactions, veulent obliger lesdits habitants de leur donner, avant leur départ, de la toile, du lard et des jambons ; ce qui est une contravention à notre ordonnance, qui explique clairement la volonté du roi, et ce qui ne peut passer que pour une concussion et désobéissance digne d’une punition exemplaire. À quoi étant nécessaire de prévenir, pour empêcher la ruine entière de la province… »

À cette pièce est joint le procès-verbal d’une instruction ordonnée par M. de Ménars, et dans laquelle comparaissent les laboureurs rançonnés. Le lecteur jugera de la situation faite aux paysans par les soldats du grand roi. Nous citons :

« Information faite par nous, J.-J. Charron, chevalier, vicomte de Ménars… contre le nommé Languedoc, maréchal des logis de la compagnie du sieur de Folleville, du régiment de cavalerie de M. de Tilladet, défendeur et accusé, à laquelle, assisté de Me Philippe Puppart, greffier ordinaire de nos commissions, avons vaqué, ainsi qu’il ensuit, en la ville de Chartres, où nous sommes venus, pour faire la visite des paroisses où la cavalerie est en quartier d’hiver.

» Du samedi, 30 mars 1675................................

» Jean Brière, laboureur et collecteur des tailles de la paroisse de Baillau-sous-Gallardon, y demeurant, âgé de cinquante ans, dit que le nommé Languedoc, maréchal des logis de la compagnie de Folleville, étant arrivé dans leur paroisse, commença à menacer de mettre le feu partout, et les força, par ses menaces, de lui donner par jour, vingt deux livres pour ses deux places, qui est un louis d’or par place, ce qu’ils ont exécuté pendant dix jours ; et ce, non compris les onze sols qui se déduisent sur la taille, qu’ils ont payés séparément audit Languedoc ; que, depuis, voyant bien qu’il ne pouvait pas tirer cette somme plus longtemps, ledit Languedoc s’est contenté, pendant vingt jours, de douze livres par jour, et un minot d’avoine, pour lesdites deux places ; et ce, non compris aussi, les onze sols de la paye du roi ; et, ensuite de ce, voyant encore l’impuissance desdits habitants, il s’est réduit à dix livres et un minot d’avoine par jour ; et lorsque l’on ne satisfaisait pas à ces compositions, il a envoyé dans la maison de lui, déposant, des cavaliers qui lui ont dit qu’ils étaient envoyés de la part dudit Languedoc, pour vivre à discrétion, jusques à ce qu’ils eussent satisfait à la composition. Le déposant a vu ledit Languedoc battre et excéder à coups de bâton, outrageusement, plusieurs personnes, et, entre autres, le nommé Jacques Prochar, sur le corps duquel il rompit un charnier, pour n’avoir pas payé assez tôt la contribution, faisant, ledit Languedoc, des serments et jurements exécrables, qui est tout ce qu’il a dit savoir.

» Nicolas Legast, laboureur, âgé de trente-six ans, dit que ledit Languedoc fit sonner la cloche pour assembler les habitants, auxquels il déclara qu’il voulait avoir vingt-deux livres pour ses deux places… disant qu’il mettrait tout à feu et à sang, qu’ils furent forcés de lui promettre les vingt-deux livres… et même l’ont nourri trois ou quatre jours à discrétion… Que, depuis, il a battu à coups de bâton plusieurs personnes.

» Michel Collas, laboureur trente-cinq ans… dit que, pour les forcer à la contribution de vingt--