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apaisé, par la résolution qu’ont faite la plus grande partie des paroisses, je vous dirai néanmoins qu’il est certain qu’il n’y a point d’assurance, ou qu’au moins il serait à craindre qu’elles ne fissent pis après les États, si elles n’avaient pas satisfaction sur leurs demandes, qui sont si ridicules, qu’il est à croire que le refus les porterait peut-être à de plus grandes extrémités. Ainsi, Monsieur, si j’osais vous dire mon sentiment, il serait nécessaire de les châtier avant les États. Mais après la publication sur le sujet du châtiment, j’aurai à vous représenter deux choses : l’une, qu’il faut un corps d’infanterie au moins de quinze cents hommes, et trois ou quatre cents dragons, parce que le pays de Quimper est fort couvert et coupé par quantité de fossés, en sorte que d’autre cavalerie qui ne pourrait pas mettre pied à terre y serait presque inutile, et j’en pourrai trouver dans la province qui soutiendrait les dragons. Il faudrait au moins deux régiments eut égard au nombre des séditieux, à l’éloignement de l’évêché de Quimper, et au terrain, où l’infanterie est absolument nécessaire.

» La seconde chose est, Monsieur, que les troupes soient payées, parce que, jusqu’à présent, il n’y a pas un lieu où elles puissent subsister aux dépens des peuples mutinés, et qu’à l’égard des villages, ils ne sont pas comme dans le reste de la France, n’y en ayant pas un dont les maisons soient ensemble, y ayant des paroisses qui contiennent six à sept lieues de tour, et où toutes les maisons sont séparées deux à deux, trois à trois, en des lieux retirés et retranchés de fossés, en sorte qu’il n’y a pas de cavaliers ou soldats qui puissent y être en sûreté.

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» P. S. Depuis ma lettre écrite, j’ai appris que la rumeur passe vers l’évêché de Léon, où les peuples menacent de brûler deux ou trois maisons de gentilshommes, qui les y ont fait travailler plusieurs années à leurs dépens. J’en attends des nouvelles plus certaines.

»… M. de Beaumont arrive dans ce moment de l’évêché de Léon, et rapporte qu’un des châteaux dont je voulais parier ci-dessus, appartient à M. le marquis de Trésigny. »

(Dépêches de M. de Chaulnes. — Port-Louis, 11 et 13 juillet 1675.)...............................

« …… J’ai reçu, Monsieur, de très-fâcheuses nouvelles de l’évêché de Quimper, depuis le départ de M. de Beaumont, et M. le marquis de Nevet, qui y commande, me mande que les peuples sont prêts d’y reprendre les armes et d’attaquer Quimper ; qu’il a vu, en un moment, une révolution surprenante dans l’esprit des peuples, qu’il attribue au retour des vagabonds qui étaient allés piller le château du Guergouët, dont le sieur de Beaumont a été témoin, et qu’il ne peut plus arrêter leurs emportements. Sans ma présence en ce lieu, la révolte aurait déjà passé dans la Haute-Bretagne. J’envoie à M. Le Tellier toutes les lettres que j’ai reçues de M. de Nevet, qui lui feront connaître qu’il faut d’autres troupes que des archers pour réprimer l’insolence de ces peuples.

»… J’eus même, hier, avis, Monsieur, que plusieurs paroisses devaient se venir soumettre, et porter seulement leurs plaintes contre les mauvais traitements qu’elles recevaient des gentilshommes et des curés. Il y en a plusieurs (des révoltés) qui leur font signer des écrits pour se libérer de leurs vexations. Il est certain qu’elles sont grandes, n’y ayant point de terre de seigneur qui, selon mes connaissances, n’ait augmenté de plus d’un tiers son revenu, par les impositions extraordinaires sur les peuples. »

(Dépêche de M. De Chaulnes. — Port-Louis, 17 juillet 1675.)...............................

M. du Guémadeuc, évêque de Saint-Malo, confirme les faits précédents par cette dépêche adressée à Colbert :

À Saint-Jean des Prés, le 23 juillet 1675................................

« Monsieur,


« Je ne me suis point donné l’honneur de vous écrire depuis ma sortie de Rennes, qui ne fut qu’avec M. le duc de Chaulnes, lorsqu’il s’en alla au Port-Louis, et que j’accompagnai jusqu’à Ploërmel, parce que je savais que vous étiez suffisamment informé par lui des raisons qui l’obligèrent enfin à quitter Rennes pour s’approcher de la Basse-Bretagne, où le désordre fait par les paysans continue toujours.

»… Je fus bien surpris d’apprendre ici, en arrivant dimanche dernier, que madame la duchesse de Rohan et M. et madame de Coëtquen étant dans une petite ville, à vingt pas d’ici, appelée Josselin, qui appartient à madame de Rohan, et où elle a un vieux château, faisaient quelque difficulté d’aller jusqu’à Pontivy, qui est une autre petite ville à six lieues d’ici, où est le principal siège du duché de madame de Rohan, et où sa première intention était de faire quelque séjour, parce que l’on lui avait donné avis les jours précédents que les paysans de quelques paroisses voisines dudit Pontivy, menaçaient de venir dimanche et hier (qui était fête) brûler et piller la maison.

»… Quasi toute la noblesse de Basse-Bretagne et de ces pays ici qui en approchent, quitte les maisons de la campagne pour se retirer dans les villes principales, et y faire porter ce qu’ils ont de meubles plus précieux et tous leurs papiers, pour éviter qu’on ne les leur pille ou brûle, comme l’on a fait dans le château du Kogoët, l’un des plus forts de la Basse-Bretagne.