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pétuelle pour l’État ; car, lorsqu’ils sont établis, il faut que le peuple les nourrisse et les défraye. »

Puis, s’adressant à Anne d’Autriche, Omer Talon ajoute d’une voix grave et émue :

« — Faites, Madame, s’il vous plaît, quelques réflexions sur la misère publique dans la retraite de votre cœur… Songez, Madame, à la calamité des provinces ; car l’honneur des batailles gagnées, la gloire des provinces conquises, ne peuvent nourrir ceux qui n’ont pas de pain[1] ! »

Anne d’Autriche, exaspérée par la ferme sévérité du langage d’Omer Talon, sort du Parlement en disant à ses courtisans : « — S’ils osent refuser l’enregistrement de l’édit… nous verrons !… Je ne souffrirai jamais que cette canaille de robins attaque l’autorité du roi mon fils[2]. »

Le Parlement enregistre les édits en mentionnant ses réserves et apportant de telles modifications aux nouvelles taxes, qu’elles devenaient à peu près illusoires ; de plus, en raison de la gravité des circonstances, le Parlement décide que deux députés de chacune de ses chambres se réuniront, afin d’aviser à une réforme générale des dépenses publiques, et de suppléer ainsi, autant que faire se pourrait, à la convocation des États généraux, depuis si longtemps l’objet des inquiétudes, des craintes ou de l’aversion du pouvoir royal. La population de Paris, instruite des faits, s’émeut, fermente et se dispose à appuyer, par l’insurrection s’il le faut, la réforme des abus exigée par les parlementaires. La reine ordonne à leurs députés de se séparer ; ils refusent. Le duc d’Orléans, dans l’espoir de les intimider, vient, en sa qualité de lieutenant général du royaume, assister à leur séance ; ils cessent leurs délibérations en sa présence, mais les reprennent aussitôt après son départ. Ceci fait dire à Bachaumont, l’un des plus ardents parlementaires : « — Que le Parlement agissait

  1. Omer Talon. Mémoires, t. XI, p. 420.
  2. Mémoires de madame de Motteville, t. XXXVII, p. 586.