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culier ; fastueux et cupide, avide et prodigue, pillant sans honte et à ce point le trésor public, qu’à sa mort il laissa deux cents millions à ses héritiers, le cardinal de Richelieu, maître de la France, voulait, à sa manière, au moins autant par orgueil personnel que par patriotisme, la grandeur du pays qu’il gouvernait despotiquement. Il fut le plagiaire des vastes projets de Sully et d’Henri IV ; mais en cela seulement qu’il poursuivait par la guerre l’abaissement de l’Empire et de l’Espagne. Là s’arrêta son inflexible et étroite ambition ; ce prêtre sans foi, cet homme sans mœurs, cet égoïste au cœur de roc, ce sceptique contempteur de l’humanité, ce politique à courtes ailes, était incapable de s’élever à la hauteur de la féconde et sublime pensée de Sully, qui, dans cet abaissement de l’Espagne et de l’Empire, puissances si longtemps ennemies et rivales de la France, voyait, non point une coûteuse et stérile satisfaction d’amour-propre national, mais l’unique moyen d’assurer à l’avenir la paix, la liberté, l’union, la richesse, la prospérité de l’Europe, en la sauvegardant désormais des ruineuses horreurs de la guerre, par la fondation de la république chrétienne, dont le conseil fédéral et suprême devait pacifiquement arbitrer toutes les questions que la force des armes avait jusqu’alors décidées parmi les peuples. Le cardinal de Richelieu déchaîna d’interminables guerres sur l’Europe, épuisa le sang du pays, l’écrasa d’impôts, l’appauvrit, sans d’autre but que le triomphe éphémère des armes de la France, appuyée d’alliances incertaines et sans lendemain. Funeste triomphe ! La défaite resserrait les liens des vaincus, leurs rancunes éternisaient les motifs ou les prétextes de nouvelles guerres, que Sully et Henri IV eussent conjurées en leur opposant de nombreux et redoutables États, indissolublement confédérés au nom de leurs plus chers intérêts.

Le cardinal de Richelieu voulut, louable tentative, imprimer un vif élan au commerce, à la marine, à l’industrie, à l’agriculture, suivant encore l’exemple de Sully ; mais dans le système de ce grand homme, tout était logique : il savait que la paix peut seule assurer le