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je lègue à mon tour ma légende ; elle continue nos annales plébéiennes. À ces pages sera joint le fer d’un marteau de forgeron ; il augmentera le nombre des reliques de notre famille ; tu les transmettras, ainsi que nos annales, à ta descendance, de même que nos aïeux nous les ont transmises.

Mon grand-père Antonicq Lebrenn est trépassé, à l’âge de soixante-sept ans, le 11 novembre de l’année 1616 (il n’avait rien ajouté à son récit depuis 1610, fin du règne de Henri IV). Stephan, fils d’Antonicq, avait vingt-trois ans à la mort de son père. Il a continué d’être métayer de la métairie de Karnak, dépendant du fief de Mezléan, relevant de la seigneurie de Plouernel ; puis, de par le droit d’usance, Stephan, au bout d’un certain nombre d’années, est devenu vassal de la seigneurie. Il s’est marié à vingt-six ans (1619) et a eu de ce mariage deux enfants : moi, Salaün (né en 1625), et mon frère Gildas (né en 1628). Notre père Stephan, aussi bon que timide et résigné, a souffert, sans jamais se plaindre qu’à ma mère ou à nous, toutes les misères, toutes les hontes, toutes les douleurs du vasselage ; il est mort à l’âge de cinquante-huit ans, le 13 février 1651. Mon frère Gildas, aussi bon, aussi patient, aussi résigné que mon père, lui a succédé dans la tenance de la métairie de Karnak, située sur la côte de la Bretagne armoricaine. Moins résigné que Gildas et appelé par une vocation invincible à l’état de marin, ayant eu la mer sous les yeux depuis mon enfance, je me suis, du vivant et de l’agrément de mon père, engagé mousse, dès l’âge de quinze ans, à bord de l’un des navires du port de Vannes, voisin de la métairie de Karnak. J’ai navigué longtemps, et je suis parvenu aux fonctions de subrécargue, puis de capitaine d’un bâtiment commerçant ; j’ai pu ensuite, grâce à mon trafic et à mes profits, acheter un petit navire et commercer pour mon compte. Je me suis marié, pour la première fois, en 1646, avec ma douce et bien-aimée Janik Tankeru, sœur d’un forgeron de Vannes ; ma chère et regrettée femme a rendu ma vie aussi heureuse qu’elle pouvait l’être ; j’ai, je le crois, rendu à Janik le bon-