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grâce aux prodigieux efforts et au génie de Sully, les arsenaux furent remplis d’un matériel de guerre considérable, le trésor public entassa millions sur millions, de nombreuses levées de soldats furent effectuées, tandis que d’habiles négociations garantissaient à la France les alliances indispensables à la gigantesque entreprise de Sully. Rome, l’Espagne et l’Empire tremblèrent ; les jésuites sourirent de l’épouvante de leurs alliés… Il n’y avait, selon les bons pères, aucun motif de s’alarmer ; voici le petit raisonnement des révérends :

— Quel était le promoteur, l’âme de la république chrétienne ?

— Henri IV…

— Or, ne suivait-il pas de là que, si Henri IV mourait subitement, cette vaste entreprise s’évanouirait comme le songe d’un homme de bien ?

— Certes !

— Donc, les bons pères se chargeraient simplement de faire mourir subitement Henri IV.

Vous le voyez, fils de Joel, la logique claire, froide, tranchante, des fils d’Ignace de Loyola va droit au but, comme va droit au cœur le couteau dont ils arment benoîtement leurs disciples. Le Béarnais avait rouvert à point nommé les portes de Paris à la compagnie de Jésus ; les révérends fouillèrent, furetèrent leur ténébreuse école, afin de déterrer un assassin plus ferme, plus sûr de sa main que Jean Châtel… et la république chrétienne serait alors mortellement frappée du même coup que le Béarnais, cet infâme hérétique coupable de l’édit de Nantes… Les bons pères trouvèrent l’assassin qu’il fallait, le dressèrent et le tinrent prêt…

Vers le commencement de l’année 1610, l’armée française était prête à entrer en campagne, le prétexte de la guerre trouvé : il s’agissait de la succession de l’électeur de Clèves, réclamée par plusieurs princes protestants allemands, nouveaux alliés de Henri IV. Mais le fol et honteux amour de ce vert galant pour la princesse de Condé brusqua la rupture des négociations entamées pour la forme,