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noir, cerné par les soldats. Le passage qui conduit du clos au verger est pratiqué sous la route où veillent les factionnaires… »

Puis, s’interrompant et s’adressant à Berthe :

— Dès que nous serons dans le verger, ne nous sera-t-il pas facile de gagner les champs et le bord de la mer ?

— Très-facile, mon ami… les maîtres de ce manoir ont fait autrefois percer ce passage voûté sous la route, afin de n’avoir pas à la traverser pour se rendre du jardin au verger. Les murs dont il est clos nous déroberont à la vue des soldats… vous ouvrirez aisément la porte qui donne dans la campagne.

« — En sortant du verger, — reprend Nominoë, continuant de lire ce qu’il écrit, — nous gagnerons le bord de l’Océan. Là, s’élèvent les pierres de Karnak. La nuit est sereine ; la lune brille. À sa douce clarté, Berthe et moi, nous tenant par la main, nous gravirons les degrés de l’antique pierre consacrée aux sacrifices, autel druidique, où a coulé le sang d’Hêna, la vierge de l’île de Sèn. Berthe et moi, parvenus à la plate-forme du bloc de granit, en présence de l’immensité de la mer et du ciel, dont les profondeurs sans bornes se dérouleront à nos regards, nous te dirons tous deux agenouillés, ô Dieu juste :

» — Nous n’avons pu être unis dans cette vie… nous avons voulu être unis dans la mort ! La mort… cette aube mystérieuse de nos renaissances éternelles ! Impossible devant les hommes, cette union expiatrice d’une fille des Franks conquérants et d’un fils des Gaulois asservis ; cette union réparatrice, nous la consacrons devant toi ! Tu le vois ! nos deux âmes sont confondues en une seule ! Fais, ô Tout-Puissant ! qu’il en soit ainsi désormais de nos deux races, si longtemps ennemies ! Fais que l’une regrette ses iniquités séculaires et que l’autre les pardonne ! Fais que cette révolte, soulevée par l’excès des maux affreux des opprimés, soit, quoique vaincue, l’enseignement des vainqueurs ! Fais que pour la dernière fois le sang soit versé dans ces luttes impies ! Fais qu’à l’ave-