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Berthe tressaille d’horreur. Nominoë se lève, va prendre le sac de voyage qu’il a en entrant déposé, y fouille et en tire le fer d’un lourd marteau de forgeron.

— Tenez, Berthe, voici qui augmentera le nombre de nos reliques de famille.

— Quel est ce marteau ? Je vois sur son fer gravés ces mots en langue bretonne : Ez-libr.

Être libre ! — C’était la devise de Tankerù-le-Forgeron. Ce marteau lui servait d’arme durant la révolte… Je suis arrivé aujourd’hui avant l’aube dans les bois de Mezléan, vivement inquiet du sort du père de Tina ; il s’était séparé de nous lors de la funeste dispersion de l’armée des paysans ; il la déplorait aussi. Je suis allé ce matin à sa demeure ; je comptais y attendre la nuit, n’osant m’approcher de Mezléan pendant le jour. Je n’ai trouvé au logis de Tankerù que sa vieille mère, à moitié folle de désespoir. Elle m’a appris le supplice de son fils… J’ai vu, près de sa forge éteinte, son marteau ; j’en ai pris le fer… et à nos symboliques reliques sera joint le marteau du forgeron.

— Ce dépôt sacré pour vous, à qui le confierez-vous, Nominoë ?

— À un parent éloigné, le seul qui nous reste. Il est artisan à Vannes ; honnête et laborieux, il transmettra ce pieux legs à ses enfants ; ils le transmettront aux leurs. L’un d’eux, grâce aux pages laissées par moi, continuera peut-être un jour nos annales plébéiennes en écrivant la légende de mademoiselle de Plouernel et de Nominoë Lebrenn… La fin de cette légende, la voulez-vous connaître, ma Berthe bien-aimée ?

— Si mon cœur ne me trompe, je crois la deviner, Nominoë.

— Écoutez… — Et reprenant la plume, il écrit en lisant à haute voix ce qui suit :

« — Moi, Nominoë Lebrenn, j’écris ceci, le 17 juillet 1675, au manoir de Mezléan, une heure avant l’aube. Berthe de Plouernel est là près de moi. Dans peu d’instants, nous aurons quitté le ma-