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n’est-ce pas, à mes traits que le rose ? Des larmes récentes devraient ternir l’éclat de mon regard… une expression navrante devrait crisper mes lèvres… mais point ! j’ai l’œil brillant, la joue vermeille, le sourire aux lèvres ! rien en moi ne trahit le morne désespoir ! je parais et je suis pleine de sécurité, de calme, de sereine espérance ! Que voulez-vous, Nominoë, mon visage, non plus que mon cœur, ne sait mentir… Tout à l’heure, avant votre venue, j’étais heureuse… je vous revois… mon bonheur est doublé… Oui, car, s’il se peut, mon amour pour vous augmente encore !… Mes paroles, mon aspect, vous étonnent, car vous m’avez laissée flétrie, brisée par la douleur ! Tenez, ami, — ajoute mademoiselle de Plouernel, prenant sur la table le pli que lui a rendu son vieil écuyer, — lisez ceci, vous comprendrez ce qui vous semble inexplicable… J’avais dépêché près de vous, afin de vous remettre cette lettre, un homme de confiance… Il a suivi vos traces à Guémené, à Rennes, à Nantes ; il lui a été impossible de vous rejoindre… Lisez, Nominoë, je vous disais adieu… aussi, jugez quelle est ma joie en vous revoyant !

Le jeune homme prend la lettre avec empressement et la lit. Berthe sort un instant du salon et rentre bientôt apportant une cassette assez pesante ; elle la dépose sur la table où se trouve ce qui est nécessaire pour écrire et trace quelques lignes d’une main tranquille. Puis elle plie les deux feuillets et écrit sur l’un : — À ma chère et bonne Marion. — Et sur l’autre : — À mon fidèle Du Buisson. — Pendant que mademoiselle de Plouernel s’occupe de ce soin, la lettre qu’elle a remise à Nominoë est lue par lui avec une avide et haletante curiosité… Bientôt il tressaille, jette sur Berthe un regard baigné de larmes ; ses traits expriment un profond attendrissement, et contemplant la jeune fille, tandis qu’elle écrit, penchée sur la table, il dit à demi-voix :

— Quel amour… quel cœur… quel courage !… Oh ! non… non, ce monde-ci n’est pas digne d’elle !

Nominoë achève la lecture de la lettre et la porte pieusement à ses