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Marion sort précipitamment, et Berthe, s’adressant au vieil écuyer : — Vous n’oublierez pas mes recommandations au sujet de cette somme, destinée par moi à secourir les veuves et les orphelins…

— Les volontés de mademoiselle seront exécutées, — répond le vieillard en s’inclinant. Et il sort ainsi que Marion aussitôt après que Nominoë est entré dans la salle. Ses vêtements sont poudreux ; il jette sur un fauteuil son sac, son bâton de voyage et reste seul avec Berthe.


Mademoiselle de Plouernel s’avance vivement à la rencontre de Nominoë, lui tend les mains et s’écrie avec ravissement :

— Enfin, vous voilà… je vous aurai revu, Nominoë !

— Qu’elle est belle ! mon Dieu, qu’elle est belle ! — murmure involontairement le jeune homme plongé dans une extase contemplative, car jusqu’alors, et même à La Haye, il n’avait éprouvé cette sorte d’éblouissement que lui cause le rayonnement de la beauté de Berthe, beauté qui, en ce moment, par son tranquille éclat, par sa prime fleur virginale, par sa céleste expression, atteignait en effet l’idéal. Puis, à cette admiration, succède chez Nominoë un ressentiment amer : il se croit, il se sait passionnément aimé de Berthe. Elle a dû souffrir mille peines cruelles, en songeant aux dangers qu’il courait depuis leur séparation, et surtout en songeant à la ruine de ces projets de mariage, si longtemps caressés par elle ; et, cependant, loin de la retrouver abattue, pâlie, étiolée par le chagrin, par le désespoir, elle apparaissait florissante de fraîcheur et de grâce… L’amour est pénétrant. Mademoiselle de Plouernel devine la secrète pensée de Nominoë, sourit, et s’adressant à lui avec un fin et charmant sourire :

— Soyez sincère, ami, vous me trouvez trop belle ?

— Berthe, que dites-vous ?…

— Allons, ami, avouez-le, selon vous, la pâleur siérait mieux,