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à genoux et, les mains jointes, s’écrier en tendant le cou : « Égorgez-nous, s’il vous plaît, sans nous faire languir… » Enfin, ce matin, à Kerer, des soldats ivres ont fait rôtir un enfant vivant[1] !…


— Assez ! oh ! assez ! c’est affreux !… — s’écrie mademoiselle de Plouernel en frissonnant. — Ô grand siècle ! ô grand roi !… bénie soit l’heure où j’abandonnerai cette terre témoin de tant d’horreurs !

— Mademoiselle va donc voyager, ainsi que le pense Marion ?

— Oui, — reprit mademoiselle de Plouernel avec un demi-sourire indéfinissable, — oui, je vais entreprendre un long voyage…

— J’ose espérer que mademoiselle me conserve près d’elle… je suis vieux, mais dévoué…

— Je connais votre dévouement, bon et fidèle serviteur ; il égale celui de Marion, ma nourrice… Cependant, je ne saurais vous emmener, ni vous ni elle, avec moi…

— Est-il possible ? — dit le vieillard, dont les yeux se baignent de larmes. — Quoi, nous n’accompagnerons pas mademoiselle ?… Mais, bon Dieu ! sans trop d’orgueil, je puis le dire, où mademoiselle trouvera-t-elle des serviteurs plus fidèles, plus dévoués que nous ?

— Pouvez-vous donc croire que si je devais garder des serviteurs j’en choisirais d’autres que vous ?

— Mais mademoiselle, — reprend Du Buisson stupéfait, — mais mademoiselle ne songe pas, ne peut pas songer à voyager seule !

— Si fait ! Cela vous surprend ; je le conçois… Et, cependant, il en est ainsi… Je n’ai d’ailleurs pas besoin d’ajouter que j’assurerai l’aisance de vos vieux jours…

— Ah ! que mademoiselle ne croie pas que l’intérêt…

— Votre désintéressement égale votre probité, votre zèle… je le sais… Aussi, est-ce pour moi un devoir de récompenser vos longs services. Ce n’est pas tout, je vous chargerai, vous et Marion, d’une mission dont vous me saurez gré, j’en suis certaine ; je ne puis la

  1. Voir dans la Lettre aux abonnés les Lettres de madame de Sévigné pour ces détails révoltants.