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quoi subvenir à ses besoins, à ceux de sa femme et de ses enfants ; j’ajoute en riant, dans l’espoir d’égayer mademoiselle, que mon frère et moi nous posséderions sans doute, d’un moment à l’autre, des trésors incalculables. Mademoiselle me demande ce que cela signifie ; je réponds qu’un de nos cousins, vieillard à moitié fou, soufflait[1], comme tant d’autres font depuis des années et des années, afin de trouver ce qu’il appelait la poudre de projection…

— Quoi ! Marion, la soufflerie a aussi pénétré au fond de la Bretagne ?

— Malheureusement ; car le cousin dont je vous parle avait hérité d’un petit patrimoine, et il a fondu dans les cornues et les alambics. Nonobstant, ce vieux fou est plus persuadé que jamais qu’il va découvrir cette fameuse poudre au moyen de quoi tout se change en or… Je racontais ces folies à mademoiselle, dans l’espoir de l’égayer, lorsque je la vois devenir très-sérieuse, se recueillir ; et après réflexion, elle me dit qu’il y a plus de vrai que l’on ne pense dans le savoir des alchimistes, qu’elle serait curieuse de visiter le vieux souffleur au milieu de ses alambics, et que le lendemain nous irions à Vannes.

— Ainsi, mademoiselle a pris ces folies au sérieux ? Cela me semble étrange.

— J’ai aussi été fort surprise, je l’avoue ; mon étonnement a redoublé lorsque, peu de temps avant de monter en voiture pour nous rendre à Vannes, j’ai vu mademoiselle ouvrir sa cassette, y prendre de l’or, des pierreries, et mettre le tout dans un sachet qu’elle emporta. Nous arrivons au faubourg de Vannes, la voiture s’arrête devant une maison isolée occupée par le bonhomme… je le trouve au milieu de ses fourneaux, je lui annonce la visite de mademoiselle… Elle entre, me dit de l’attendre, et reste seule avec lui.


  1. Au dix-septième siècle, tous les chimistes ou alchimistes, qui s’occupaient de la recherche de la pierre philosophale, imagination alors fort en vogue, étaient surnommés souffleurs, en raison du jeu continuel de leur soufflet pour opérer la fusion des métaux, etc., etc.