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M. de Plouernel répond à l’abbé par un signe de tête affirmatif, et, s’adressant d’une voix courroucée à ses vassaux :

— Misérables ! vous avez osé forcer la grille du château ! Que voulez-vous ?

— Vous allez le savoir, monseigneur, — répond Tankerù d’une voix contenue, et tirant de la poche de son tablier de cuir un rouleau de papier, il monte les quelques marches qui le séparent de la plate-forme du perron où se tient le comte de Plouernel et lui remet le cahier en ajoutant : — Lisez ceci, s’il vous plaît, monseigneur, lisez ceci…

— Qu’est-ce que cette paperasse ?

Le code paysan, monseigneur… notre code à nous, pauvres gens…

— Qu’est-ce à dire, manants ! votre code ? quel code ?

— Monseigneur, — reprend Tankerù, de qui le calme ne se dément pas, — nous six que vous voyez là, nous sommes délégués de vos vassaux de Mezléan et de Plouernel ; nous nous sommes souvent réunis, à seule fin d’aviser à nos misères. Elles sont, voyez-vous, trop fortes ! nous ne pouvons plus, foi de Dieu ! les supporter ! non ! Dans ce cahier, contenant le code paysan[1], nous exposons donc humblement nos doléances, et puis nous marquons de notre mieux les règles qu’il vous plaira suivre envers nous, monseigneur, à partir d’aujourd’hui.

— Un code ! des règles ! dictés par cette canaille rustique ! — balbutie le comte de Plouernel, non moins abasourdi, stupéfait que s’il eût ouï parler, raisonner des animaux. — Est-ce le comble de l’insolence ? est-ce folie ? ou bien ces marauds sont-ils ivres ?… Est-ce que je rêve ? est-ce que je veille ?…

— Écoutez cette mauvaise engeance, — dit tout bas l’abbé au

  1. Voir la Lettre aux abonnés, au sujet de ce fait si curieux, d’une si grande signification, et cependant jusqu’ici presque inconnu.