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Le comte de Plouernel, en prononçant ces mots, emporté par la rage, tire son épée et, du plat de la lame, fouette le visage de Nominoë en s’écriant : — Vil manant ! oser lever les yeux sur mademoiselle de Plouernel !

La violence du coup de plat d’épée fut telle, que le sang jaillit de la joue et du front de Nominoë. Il était sans armes… il pousse un cri terrible, crispe les poings avec désespoir ; puis, remarquant au côté de Serdan un coutelas de voyage, Nominoë le dégaine et se précipite sur M. de Plouernel en murmurant :

— La fatalité le veut !… une fois encore, nos deux races vont donc se mesurer !…

— Comte ! — s’écrie M. de Châteauvieux, mettant aussi l’épée à la main, — comte ! tuons ce vassal comme un chien !…

Salaün court à l’aide de son fils, attaqué par deux adversaires à la fois, saute au collet de M. de Châteauvieux, le terrasse, et, malgré sa résistance, le désarme, tandis que Nominoë, après avoir dextrement paré un coup que lui portait le comte de Plouernel, riposte d’un revers de coutelas si rudement asséné sur le poignet du comte, que sa main est à moitié détachée de son avant-bras. Tout ceci s’était passé avec une rapidité que peut seule égaler la pensée. Mademoiselle de Plouernel, malgré l’odieuse conduite du comte à son égard, avait jeté une exclamation d’épouvante en voyant son frère aux prises avec Nominoë ; et, au risque d’être frappée par tous deux dans la chaleur du combat, elle s’élance pour les séparer. Serdan, tremblant du danger qu’elle brave, la retient en la saisissant à bras le corps ; elle pousse un cri déchirant, chancelle, devient livide ; sa tête se renverse en arrière, elle défaillit, bouleversée par la terreur, et tomberait inanimée sans Serdan, qui la soutient et l’assoit sur le gazon, adossée au vieux chêne et complètement évanouie… Soudain les gardes forestiers, que l’un des écuyers du comte était allé quérir, selon ses ordres, pénètrent dans la clairière armés de leurs mousquets et de leurs couteaux de chasse.