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quise ; — Berthe aura profité de l’excessive liberté que nous lui avons malheureusement laissée pour s’abandonner à un horrible choix… Quelque jour elle prendra la fuite avec son amant, et l’honneur de notre maison sera pour jamais souillé !

— Morbleu ! — s’écria M. de Plouernel, — si jamais ma sœur poussait l’oubli de tout devoir et l’ingratitude envers moi jusqu’à refuser un mariage qui m’assure de si grands avantages, j’en jure Dieu ! si surtout la cause du refus de cette folle était un amour infâme, j’irais à l’instant me jeter aux pieds du roi mon maître pour le supplier de faire enfermer cette malheureuse aux Repenties, où elle serait traitée avec la dernière rigueur !

— Mademoiselle de Plouernel enfermée aux Filles repenties… Ah ! mon cher enfant, vous n’y songez point ! — dit avec un accent de benoîte componction l’abbé Boujaron. — Non, non, cela est impossible ! mais ce qui est possible et ce qu’il faut, c’est que votre sœur entre en religion et que la légitime qui lui revient, selon la coutume de Bretagne, aide aux bonnes œuvres de la communauté où sera reçue cette grande pécheresse… Or, croyez-moi, mon cher enfant, — ajouta l’abbé en souriant, — il n’est point besoin que notre pécheresse soit enfermée aux Repenties pour être traitée avec la dernière rigueur et durement mortifiée dans sa chair, dans sa jactance, en vue du salut de son âme !

Le comte de Plouernel, ne prêtant qu’une oreille distraite aux paroles de l’abbé, reprit avec un courroux croissant :

— Ma sœur éprise de quelque goujat !… Mon mariage, sur quoi se fondaient tant de légitimes espérances, ruiné par le méchant vouloir de cette détestable créature ! car je connais l’obstination du duc de Châteauvieux : il a chaussé l’idée d’un double mariage… il n’en dévoiera point…

— C’est indubitable, — reprit la marquise, — et, ce cas échéant, il nous faudra renoncer à l’ambassade d’Espagne… d’où, grâce aux bontés de Sa Majesté Très-Catholique, vous eussiez rapporté très-certai-