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dépenses nécessitées par le faste éblouissant qu’il déployait à Versailles, en équipages, en pierreries, en grande chère, en fêtes splendides, sans compter un jeu effréné : faste ruineux auquel se livrait M. de Plouernel, moins encore afin de satisfaire à son goût naturel pour la magnificence qu’afin de flatter son maître Louis XIV, qui, par son orgueil de réunir autour de soi la cour la plus brillante de l’Europe, poussait ses courtisans à imiter ses prodigalités royales. Or, la fortune du courtisan se composant presque uniquement de ses domaines seigneuriaux, il ne pouvait augmenter ses revenus qu’en accablant ses vassaux de taxes exorbitantes, perçues avec la dernière rigueur. De là, les misères affreuses, puis les redoutables colères de ces malheureux et, enfin, les rébellions furieuses qui devaient bientôt ensanglanter la Bretagne et frapper une noblesse impitoyable ! Le comte de Plouernel, ainsi que presque tous ceux de sa caste, ne ressentait, ne pouvait ressentir aucune pitié pour ses vassaux, traditionnellement taillables et corvéables à merci et miséricorde ; race conquise, déshéritée ; espèce inférieure, tenant le milieu entre l’animal et l’homme, de qui elle avait le nom et à peine le dehors ; flétrie, brisée, difformée qu’elle était par l’excès de ses maux, de ses labeurs ; condamnée par le destin à travailler, à produire, au profit de la seigneurie, issue ou représentante de la race guerrière et conquérante. Le comte de Plouernel se montrait donc logique à sa race, à sa tradition, à son temps, en témoignant d’une inexorable dureté envers cette espèce, qu’il regardait sincèrement, naïvement, comme une race inférieure et de tout point dissemblable à la sienne. Aussi, dit-il d’une voix courroucée et montrant à la marquise du Tremblay la lettre qu’il tenait à la main :

— Savez-vous, madame, de quoi s’est avisée ma sœur durant son séjour à Mezléan ?

— Quelque nouvelle folie ?

— Si c’est folie, madame, c’est une méchante folie ! car elle a eu et peut avoir encore de funestes conséquences !