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L’espérance que j’ai de vous voir demain retient ma main de vous faire de plus longs discours. Ce sera dimanche que je ferai le saut périlleux… Bonjour, mon cœur, venez demain de bonne heure, car il me semble qu’il y a déjà un an que je vous ai vue. Je baise un million de fois les belles mains de mon ange et la bouche de ma chère maîtresse !…..........Henri.

» Saint-Denys, ce 23 juillet 1593. »

Le saut périlleux, c’était l’abjuration ; cette jonglerie, l’adroit Gascon l’exécuta, le dimanche 25 juillet 1593, avec sa souplesse habituelle. Il se rendit en grande pompe à la basilique de Saint-Denis, à la tête d’un long cortège. Les portes de l’église étaient fermées ; Henri IV frappe ; elles s’ouvrent. Sous le grand portail se tenait l’archevêque de Bourges, officiant, environné de sept évêques et d’un nombreux clergé. « — Qui êtes-vous ? — demanda l’archevêque au Béarnais, lorsqu’il mit le pied sous le porche. — Je suis le roi. — Que demandez-vous ? — Je demande à être reçu au giron de l’Église catholique, apostolique et romaine. — Agenouillez-vous, sire, et faites votre profession de foi. »

Et le madré compère de répondre en riant dans sa barbe grise : « — Je proteste et jure, devant la face du Dieu tout-puissant, de vivre et mourir dans la religion catholique, de la protéger et défendre envers et contre tous, au péril de mon sang et de ma vie, renonçant à toutes hérésies contraires à icelle. »

Ceci dit, le royal néophyte reçut la bénédiction, communia, pria, fit largement les choses, assista le soir à vêpres, à complies, au sermon, et termina cette apostolique journée en allant passer la nuit chez sa maîtresse, la belle Gabrielle. Les protestants, ayant reçu des engagements secrets de Henri IV au sujet de la religion, croyaient, et ils ne se trompaient pas, que, sous son règne, la liberté de conscience serait scrupuleusement respectée ; cependant, grand nombre de huguenots, plaçant les devoirs de l’honneur et de la conscience au-dessus de la politique, blâmèrent, avec une légitime indignation, la