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que la pensée, il dégage son pied de l’étrier, et d’un coup de talon vigoureusement appliqué au milieu de la poitrine du sergent, il le renverse à demi sur Tankerù qui s’élançait pour défendre sa fille. Le forgeron saisit à la nuque et terrasse le soudard de qui l’épée est prestement enlevée par Paskou-le-Long. Il la remet à Salaün Lebrenn en lui disant : — Compère, vous vous servirez mieux que moi de ceci ; je n’ai point l’habitude de ces longues aiguilles.

— À moi, soldats ! — s’était écrié le sergent d’une voix retentissante au moment où Tankerù le terrassait, — à moi, soldats !

Ceux qui se trouvaient rapprochés de leur chef voulurent s’élancer à son aide. Mais soudain enveloppés, serrés de près par les plus résolus des paysans, ils ne purent se servir de leurs baïonnettes. Et le forgeron s’écria : — Désarmons les habits rouges !

Ce cri répété par les paysans est entendu des soldats placés en tête du cortège. Ils accourent à l’aide de leurs camarades en écartant à coups de crosse les femmes, les enfants qui refluaient entassés dans la cavité de cette route étroite, bordée de hautes berges, et poussaient des clameurs d’épouvante. Au plus fort de cette bagarre, un laquais à cheval, arrivant en sens contraire du cortège vers lequel il s’avançait, précédant d’une vingtaine de pas deux autres personnages aussi chevauchant, arrêta sa monture et fit claquer son fouet en s’écriant : — Place ! place à mademoiselle de Plouernel… place à la sœur de monseigneur !…


Mademoiselle de Plouernel, venant du manoir de Mezléan, s’approchait en effet du lieu du tumulte. Elle portait un élégant habit de cheval : longue jupe et étroit justaucorps d’étoffe gris perle, rehaussé de nœuds de ruban d’un bleu d’azur comme son nœud d’épaule et les plumes de son large feutre noir. Elle montait avec une gracieuse aisance une haquenée d’un blanc de neige, richement caparaçonnée d’une housse de velours bleu, galonnée d’argent. Un vieil écuyer à cheveux gris, vêtu, comme le laquais, à la livrée de