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de ce soudard, complètement rasé, sauf la moustache, et balafré d’une profonde cicatrice, reçue durant les dernières campagnes de Flandre, avait une remarquable expression de dureté, de hardiesse et de railleuse insolence. Il tenait à la main une longue canne à pomme d’ivoire ; ses soldats, uniformément vêtus comme lui, sinon qu’un simple galon de laine blanche bordait leur justaucorps et leur chapeau, étaient armés du fusil, invention nouvelle qui remplace le mousquet, ainsi que le mousquet a remplacé l’arquebuse. L’on adapte au canon de ce fusil une lame de fer triangulaire et acérée, ressemblant aux longs poignards des gens de Bayonne, et ainsi appelée baïonnette.

Un tambour et un homme couvert d’un sarrau, portant sur l’épaule un trousseau de corde, et à la main une grosse clochette qu’il agitait lorsque le tambour battait, précédaient le détachement. À sa tête marchait le sergent ; derrière lui venaient deux hommes de noir vêtus : l’un bailli du seigneur de Plouernel et Mezléan, l’autre huissier du fisc. Salaün Lebrenn, le Baz-valan et le Brotaër, celui-ci monté sur son âne et ses deux compagnons sur leurs chevaux, s’arrêtèrent à quelques pas de la troupe ; tous trois, selon l’avis de Salaün, désireux d’éviter une collision dont les suites en ce moment ne pouvaient être que funestes, tous trois mirent pied à terre, et, témoignant ainsi de leur déférence envers le sergent et ses acolytes, s’avancèrent vers eux tenant leurs montures par la bride. Les soldats avaient fait halte, selon l’ordre de leur chef, et formés en demi-cercle, ils s’appuyaient sur le canon de leur fusil.

— Messieurs, — dit courtoisement Salaün, — nous sommes des gens paisibles, nous fêtons un mariage… Je suis le père du marié…

— Moi, — reprit Paskou-le-Long d’un air important, — je suis le Baz-valan de la noce.

— Et moi, — ajouta Madok-le-Meunier sans baisser les yeux devant le regard menaçant du sergent, — je suis le Brotaër… Vous avez ordonné au cortège de s’arrêter… il a obéi… que voulez-vous de nous ?