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— Ce matin… frappée d’un sinistre présage… ne te voyant pas venir, je me disais : Nominoë ne veut plus de moi pour sa femme… — Et remarquant un tressaillement involontaire du jeune homme, Tina reprit presque alarmée : — Tu te sens blessé de mon injuste défiance ?… Je le prévoyais ! je mérite ton blâme ! ! Voilà pourquoi je m’accuse, j’aime mieux être blâmée par toi que de te cacher quelque chose. Puisse la sincérité de mon aveu me mériter ton pardon !… Hélas ! je le sens, je t’ai fait injure, à toi, si bon, si loyal, toi, le meilleur des frères jusqu’au jour où tu as été le plus tendre des fiancés… douter de toi ! Ah ! maintenant surtout, de ce doute j’ai honte ! j’ai remords ! aussi, je crains ton regard sévère… Hélas ! que du moins ce pénible aveu te soit garant de ma franchise à venir ! ! Je suis ta femme ; tu dois lire, tu liras toujours dans mon cœur comme dans le tien, Nominoë. Maintenant, dis… me pardonnes-tu ?…

Le jeune homme restait silencieux, douloureusement surpris et frappé de la justesse des pressentiments de Tina… Il éprouvait, quoiqu’il ne fût pas superstitieux, un ressentiment étrange, et se disait :

— Quelle mystérieuse fatalité plane donc sur ce mariage ?… La divination de Tina ne serait pas croyable ! si je ne connaissais la candeur de cette enfant… Ce que j’éprouve est indéfinissable !… mon union est consacrée devant les hommes ; elle le sera devant Dieu dans un instant… et pourtant… Ah ! je suis un misérable fou ! Rassurons du moins cette douce enfant !

Nominoë allait en effet répondre affectueusement à son épouse, de plus en plus affligée du silence qu’il gardait, lorsqu’un incident imprévu changea soudain le cours de ses pensées : prêtant d’abord l’oreille aux aveux de Tina, puis, absorbé par ses propres réflexions, Nominoë n’avait pas jusqu’alors remarqué l’approche d’un détachement de soldats qui, depuis quelques moments, hâtaient le pas afin de rejoindre le cortège nuptial, dont ils se rapprochaient de plus en plus.

Les paysans, à l’aspect inattendu de ces soldats, furent saisis de